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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Photographies d'asile

Les photographies anciennes prises dans les asiles d’aliénés montrent que le soin, déjà, reposait essentiellement sur l’accompagnement humain.Infirmiers et patients de la 8e division hommes de l’asile de Bron. Été 1906. FRAD069_08_36FI_319, Fonds Hippolyte Laurent (ADR, Lyon).

   Les photographies anciennes prises dans les asiles d’aliénés montrent que le soin, déjà, reposait essentiellement sur l’accompagnement humain.

 

   Des images caricaturales sur les asiles circulent sur Internet, illustrant les pratiques les plus sombres de la psychiatrie. Celles-ci n’ont guère de valeur historique. Qu’en était-il en réalité de la vie et du soin dans ces établissements ?

 

   La période asilaire débute en France avec la loi de 1838, incitant les départements à se doter d’un établissement pour les aliénés, et se termine en 1937 avec l’adoption de la nouvelle dénomination d’hôpital psychiatrique. Le terme « asile » est certes encore employé de nos jours de façon péjorative, synonyme de chronicité, de stigmatisation des malades et de critique du soin psychiatrique. Durant le siècle asilaire la profession infirmière sort de la domesticité pour se professionnaliser. Le vocable « d’infirmier psychiatrique », adopté en 1937, met fin à l’usage de « gardien » ou « servant », encore utilisé dans certains établissements.

 

   Les photographies dans les asiles, notamment les clichés pris à l’asile de Bron par Hippolyte Laurent, au début du XXe siècle, donnent un aperçu du traitement par la société de ses sujets les plus fragiles. Qualité des bâtiments, des tenues des soignants et des malades, ratio soignants/malades, sont visibles sur les photographies et sont des marqueurs des budgets et donc de l’engagement d’une société envers ses patients. Avant la Première Guerre mondiale, les bâtiments, dans le monde entier, sont souvent majestueux et les tenues des soignants uniformisées. À l’étranger, la collection Wellcome, les images de Margaret Mathilda White, infirmière à l’asile d’Avondale (Nouvelle-Zélande), des sites comme celui des asiles du Surrey, mettent aussi en avant bâtiments et équipes soignantes. Des représentations d’actes de soin figurent dans le livre de Geertje Boschma sur l’émergence du soin infirmier psychiatrique dans les asiles néerlandais : enveloppement humide, gestion d’une crise d’hystérie, balnéothérapie. Peu visibles en revanche sont les autres thérapeutiques du début du XXe siècle, l’alitement mais aussi le traitement moral, évidemment plus abstrait. Ce dernier inclut un travail de persuasion, mais aussi des distractions et une remise au travail pour ceux qui le pouvaient. Les images de malades au travail illustrent cet aspect du soin, précurseur de la réhabilitation psychiatrique. 

 

   La plupart du temps, les preneurs de vue étaient des médecins ou des directeurs, avec un regard hiérarchique ou vertical. Quand il s’agissait de photographes professionnels extérieurs, le regard pouvait privilégier les aspects les plus étranges et choquants des asiles, mais en revanche, les cartes postales étaient plutôt flatteuses : celles de l’asile de Bron datant de 1905, sur le site du patrimoine Auvergne Rhône-Alpes, étaient volontiers utilisées par les employés de l’asile pour communiquer avec leurs proches. 

 

    Les 270 clichés pris à l’asile de Bron entre 1903 et 1914 par Hippolyte Laurent, infirmier puis préposé au cimetière, décrits dans un ouvrage récent, n’ont pas la verticalité du regard de la hiérarchie, ni l’extériorité de la carte postale ou du reportage. Ils incluent une série de portraits en pied individuels ou en groupe, d’infirmiers hommes et femmes, des scènes de distraction parfois ludiques ou d’accompagnement de malades au travail évoquant une vie communautaire et les soins d’avant la Première Guerre mondiale. On y trouve également des images de formation professionnelle entre pairs (le nourrissage par sonde gastrique par exemple). 

 

    Le rapprochement de ces images inédites avec les archives conservées a permis de mettre en lumière ces personnages obscurs que furent longtemps les indispensables infirmiers d’asile, dont le turn-over important menaçait les capacités de soin de l’asile. Les photographies révèlent que les infirmiers.ères sont jeunes, d’un gabarit ordinaire, plutôt fiers de leur uniforme, assez  instruits pour communiquer par l’écrit et qu’ils aspirent à une promotion sociale. Les images évoquent également le moment de bascule dans leur condition, repérable en 1906-1907, incluant le droit au mariage et la sortie progressive du statut de domestique, le service continu auquel ils étaient astreints auparavant empêchant toute vie de famille.

 

   Ces photographies, d’excellente qualité, soulignent la diversité des personnalités des soignants.es, sur lesquelles le soin psychiatrique reposait presque totalement.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Asile - Humanisation

Philippe Cialdella - Psychiatre - Lyon

Références :

Geertje Boschma, The Rise of Mental Health Nursing. A History of Psychiatric Care in Dutch Asylum, Amsterdam University Press, 2003.

Philippe Cialdella, Une galerie de portraits à l’asile du Rhône (1903-1914) : Hippolyte Laurent, infirmier et photographe amateur. Une recherche, Philippe Cialdella auto-éd, 2021.

Pour citer cet article : Philippe Cialdella, "Photographies d'asile", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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