Lithographie de Léon Sabatier et Albert Adam pour Paris et ses ruines, 1873 - Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
« Évaluer l’incendiaire, le distinguer du pyromane et plus encore de l’imposteur : tel est le défi que (…) l’expertise médico-psychiatrique doit relever pour affirmer sa légitimité et s’imposer comme acteur incontournable de la scène judiciaire ». (Jean Claude Caron)
La pyromanie naît au XIXe siècle dans un contexte favorable à l’apparition des aliénistes et à l’essor de nouvelles catégories cliniques comme celle de « monomanie » qui, dès ses débuts, fait débat. Le terme même de « pyromanie » trouve son origine dans les travaux du docteur français Charles Chrétien Henri Marc (1771-1840), premier grand spécialiste de la monomanie incendiaire, qu’il aborde pour la première fois en 1833, dans les Annales d'hygiène publique et de médecine légale. Il y distingue alors deux types de pyromanie. La première est constitutive même de l’individu et relève de l’obsession irrépressible de mettre le feu. Elle s’inscrit donc directement dans la nature de l’individu et de son attirance pour le feu. Alors que la seconde est liée à un contexte qui permet « l’éclosion » de celle-ci et s’explique par un ou plusieurs mobiles comme la jalousie ou la vengeance. Marc définit alors la pyromanie comme la « propension à l’embrasement, au brûlement ». Ses travaux sont par la suite repris et propagés en France par l’aliéniste français Jean-Etienne Esquirol (1772-1840).
Mais de nombreux débats éclatent au sein de la sphère publique à ce sujet et amènent notamment à des désaccords entre médecins et juristes. En effet, la notion de pyromanie entraîne un élargissement du champ de l’irresponsabilité pénale. La majorité des juristes se montrent hostiles à l’idée de la monomanie car elle équivaut pour eux à la réduction d’un crime grave à une maladie qui fait de l’accusé un simple fou devenu excusable. Des juristes accusent même certains accusés de feindre l’aliénation pour réduire leur peine. Pour les juristes, le fait que l’accusé n’éprouve ni sentiment de culpabilité ni remords sont la preuve de son entière responsabilité tandis que pour les médecins, cela constitue la preuve même de l’aliénation de l’accusé et donc de son irresponsabilité. Dans ce contexte, l’écrivain français Elias Régnault émet un avis en faveur des juristes qui est très partagé, y compris par certains aliénistes comme Jean-Pierre Falret ou Benedict-Augustin Morel, pour qui la pyromanie n'existe pas comme catégorie médicale singulière.
Il n’en reste pas moins que dans les registres juridiques le terme de “monomane” apparaît de plus en plus même si dans les tribunaux l’affrontement perdure entre la qualification juridique d’« incendiaire » et la qualification médicale de « pyromane ». Les juristes jugent l’acte tandis que les médecins jugent l’auteur en établissant des rapports sur l’état mental de l’accusé.
Qui sont ces incendiaires ? Les médecins vont mener des études pour repérer les profils des pyromanes. Il en ressort comme premier critère que le sexe féminin est celui qui est le plus propice à l’embrasement. Les thèses s’affinent, amenant comme deuxième critère la puberté avec l’apparition de règles chez la jeune femme qui serait un élément déclencheur. De fait, les médecins observent que la grande majorité des incendiaires sont âgés de quatorze à vingt-cinq ans. Le critère de la ruralité vient s’y ajouter. Un certain nombre de crimes incendiaires sont en effets recensés dans les campagnes, ce qui renforce l’image des populations rurales comme « pourvoyeuses du plus grand pourcentage de débiles ou de crétins ». Une fois le profil établi, les médecins étudient les raisons du passage à l’acte. Deux types d’incendiaires sont distingués dans le domaine médical : l’incendiaire vindicatoire brûlant des biens, des bâtiments et/ou des personnes qui sont l’objet de sa haine et le poussent à se venger, et l’incendiaire structurel à propos duquel l’obsession incendiaire est identifiée comme pathologie. Voici donc le sujet pyromaniaque.
Très vite les théories médicales se politisent. Car le nombre d’incendies a explosé au moment de la période insurrectionnelle de la Commune, du 18 mars 1871 jusqu’à la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871. Les intellectuels tentent donc de démontrer l’existence d’un lien entre la folie et la violence politique à travers l’étude des aliénés. Dès la révolution de 1848, l’aliéniste Brierre de Boismont, qui avait déjà travaillé sur le sujet de l’influence de révolutions sur l’aliénation, dresse un constat sévère sur les conséquences de la révolution de 1848, qui a « fabriqué » des aliénés. Il distingue les mélancoliques d’un côté et les exaltés de l’autre. Ces derniers sont jugés dangereux car ils veulent reconstruire le monde et sont adeptes des idées socialistes. Les aliénistes font donc le constat de l’influence des ouvrages et des idéologies politiques sur les aliénés qui peuvent les conduire à passer à l’acte (les Lumières, Victor Hugo, etc.). Le médecin Louis François Étienne Bergeret (1814-1893) préconise à ce sujet l’interdiction de publication de théories malsaines suspectées de causer des dégâts à l’esprit.
Alors vérité scientifique ou vérité politique ? La pyromanie a suscité un vaste et long débat, y compris dans la sphère publique, entraînant des rivalités entre juges et médecins dans leurs conceptions de l’acceptable dans la société du XIXe siècle.
Références :
Jean-Claude Caron, Les feux de la discorde, Conflits et incendies dans la France du XIXe siècle, Hachette, 2006.
Jean-Jacques Yvorel, « Incendiaire ou pyromane ? Médecins et juges face à l'incendie volontaire », Revue d'Histoire du XIXe siècle, n° 12, 1996, pp. 7-16.
Pour citer cet article : Simon Peverelli, "Pyromanie", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.