La rage est une zoonose, c'est-à-dire une maladie qui touche les animaux et les humains, causée par un virus qui se transmet essentiellement par la salive à l'occasion d'une morsure ou par d'autres actions (griffure, léchage, aérosols, greffe...). Après contamination, l'incubation, silencieuse, dure plusieurs semaines avant que les premiers symptômes ne se manifestent. L’individu enragé souffre alors d'une encéphalomyélite qui se caractérise par divers troubles (dysphagie, hallucinations, hyper-sensibilité, agressivité, paralysies...) et qui se conclut inéluctablement par la mort après quelques jours de souffrances.
Connue depuis la plus haute Antiquité, la rage sévit encore dans la France du XVIIIe au XXe siècle, provoquant chaque année des milliers de victimes parmi les faunes sauvages et domestiques françaises, ainsi que quelques dizaines de victimes humaines - les derniers cas de personnes contaminées sur le sol métropolitain datant de 1924. Si le loup apparaît dans les sources comme le principal vecteur de la rage au XVIIIe siècle, c’est la figure du chien enragé qui s'impose au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, avant que le renard ne devienne le réservoir du virus rabique entre 1968 et 1998, époque de la dernière grande épizootie de rage en France.
En raison des pertes limitées qui lui sont imputables, la rage n'est donc pas une calamité d'une ampleur comparable à la peste bovine, à la tuberculose ou au choléra. Toutefois, l'infection rabique a une place à part qui justifie l'attention que lui prêtent les autorités politiques et sanitaires. Ce statut particulier s'explique d'abord par le fait qu'il s'agit d'une maladie effroyable et incurable dès lors que les premiers symptômes sont apparus. Par ailleurs, la rage, qui fait suite à une agression par un animal furieux et qui provoque un profond bouleversement chez le malade, constitue une “effraction du sauvage” dans la sphère civilisée des humains et des animaux domestiques qui pose problème à l’époque.
Pour ces raisons sanitaires et symboliques, les pouvoirs publics ont de longue date mis sur pied des actions antirabiques. Au XVIIIe, et jusqu'à une période avancée du XIXe siècle, les mesures ont d'abord été décidées à l'échelle locale, sans beaucoup de cohérence ni de succès. Des villes ont ainsi adopté des mesures contre les chiens divagants dans les rues mais seulement à l'entrée d'une saison estivale considérée comme propice aux incidents rabiques. Par ailleurs, des savants se sont évertués, en vain, à trouver un traitement curatif contre la rage déclarée, vantant leurs (re)découvertes sans lendemain comme les frictions au mercure, les omelettes spéciales, les bains de vapeur...
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle, les pouvoirs publics élaborent, à l'échelle nationale, une stratégie bien plus rationnelle et rigoureuse, guidés par des scientifiques dont la compréhension de la maladie progresse. Les autorités adoptent des lois de police sanitaire, telles que la loi du 21 juillet 1881, qui définissent clairement les statuts des animaux face à la rage et qui imposent aux propriétaires de marquer, de déclarer, de surveiller et surtout d'abattre leurs animaux mordus ou malades. Une des priorités est également d'éradiquer les principaux réservoirs et vecteurs du virus rabique, c'est-à-dire les canidés sauvages et domestiques. De fait, des campagnes de destruction à grande échelle sont conduites par l’État et les pouvoirs locaux en distribuant notamment des primes aux chasseurs, comme celles versées contre les loups en 1882, et en développant des services de fourrière dans les villes contre les chiens errants. Ceci encourage ainsi l'emploi des armes à feu, des pièges, des poisons et même des gaz contre ces « nuisibles », notamment contre les populations de renards dans les années 1970-1990. Enfin, les autorités prônent la vaccination qui est l'objet de travaux décisifs au sein de diverses institutions scientifiques (écoles vétérinaires, Institut Pasteur, Centre d’Études sur la Rage...). L'administration du vaccin antirabique concerne non seulement les humains mordus par un animal suspect, comme Joseph Meister dès 1885, mais aussi certains animaux (chiens, bovins, chats, renards...) dans le but de briser la chaîne de contamination.
À la toute fin du XXe siècle, la rage paraît vaincue en France grâce à la rigueur des mesures de police sanitaire et à une politique vaccinale bien menée. Toutefois, notre pays n'est toujours pas à l'abri de cas importés (touristes de retour d'Afrique ou d'Asie, chiens introduits illégalement...) ni même d'une transmission du virus rabique par des chauves-souris autochtones.
Références :
Jean Théodoridès, Histoire de la rage. Cave canem, Masson, 1986.
Bill Wasik, Monica Murphy, Rabid. A cultural history of the world's most diabolical virus, Penguin Books, 2012.
Pour citer cet article : Nicolas Baron, "Rage, dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.