La notion de responsabilité psychiatrique est un terme technique utilisé surtout par les experts psychiatres près des tribunaux pour désigner la responsabilité pénale d’une personne au regard des troubles mentaux qu’elle présente. Cette notion est définie relativement à l’état d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (ou « irresponsabilité psychiatrique »), concept juridique délimité par la loi. Selon la doctrine pénale classique, la responsabilité pénale d’un agent peut être décomposée en deux éléments : la culpabilité et l’imputabilité. On peut définir le premier terme, comme la participation morale de l’agent à une infraction ; et le second, comme la capacité de comprendre et ainsi de mériter la sanction. Au titre que la maladie mentale vient contrarier les capacités mentales de la personne, elle est ainsi considérée comme abolissant l’imputabilité et ainsi la responsabilité de l’agent.
La notion d’irresponsabilité psychiatrique n’est pas nouvelle. Au XVIIIe siècle avant notre ère, le Code babylonien d’Hammourabi exonérait de punition celui qui pouvait prouver qu’il n’avait pas agi intentionnellement, de même que l’Evangile selon Luc appelle le pardon pour des personnes qui n’ont pas conscience de leurs actes. L’irresponsabilité du fou est réellement conceptualisée par la philosophie du droit canonique à partir du XIIIe siècle, puis au sein du droit issu de la Révolution Française.
En 1810, l’article 64 du code pénal napoléonien (« Il n'y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ») constitue un point de départ à la manière dont la notion d’irresponsabilité psychiatrique est appréhendée. Au début du XIXe siècle, les premiers aliénistes se saisissent de l’article 64 pour faire reconnaître socialement leurs compétences professionnelles pour appréhender l’état d’aliénation mentale. Au début du siècle suivant, le recours à l’expert psychiatre pour appréhender la responsabilité psychiatrique d’un individu devient systématique.
En 1992, l’ancien article 64 est remplacé par l’article 122-1 alinéa 1. L’important changement qu’il instaure réside en la distinction de deux états : 1) celui d’«abolition du discernement et du contrôle » du fait d’un « trouble psychique ou neuropsychique », induisant l’irresponsabilité ; 2) celui de « l’altération du discernement et du contrôle » maintenant la punissabilité de la personne, tout en sommant le tribunal d’adapter les modalités d’application de la peine. Cet article donne un statut juridique à la notion de responsabilité psychiatrique atténuée. Il prend ainsi en compte les critiques portées à l’article 64, soulignant l’existence d’un ensemble de cas-frontières entre l’état de responsabilité pleine et entière et celui d’irresponsabilité. Pour certains commentateurs de l’adoption de l’article 122-1, en offrant aux experts une voix alternative, il justifie le renvoi de certaines personnes en besoin de soin à la prison.
Pourtant, la tendance de certains experts psychiatres à responsabiliser des contrevenants présentant des troubles mentaux graves ne date pas de 1992. Le monde de la psychiatrie a ainsi toujours été divisé entre professionnels ayant une approche extensive de l’irresponsabilité psychiatrique et d’autres qui en ont une appréhension plus restrictive. Au début du XXe siècle, certains prônant le soin s’opposaient à d’autres défendant des conceptions plus punitives. A partir des années 1950, influencée par les courants antipsychiatriques et par la psychanalyse, une nouvelle éthique médicale humaniste émerge. Plusieurs arguments sont mis en avant : 1) l’irresponsabilité psychiatrique serait une solution irrespectueuse des personnes niées dans leur volonté et ainsi dans leur humanité ; 2) elle conduirait à une hospitalisation d’une durée imprécise, dans une institution excluante et violente : l’hôpital psychiatrique ; 3) niant l’infraction commise, elle ne serait pas « thérapeutique » pour le malade ; 4) elle ne permettrait pas à la victime de se « reconstruire ».
Ces justifications humanistes et thérapeutiques inscrites dans une psychiatrie en pleine mutation donne à la tendance responsabilisante une ampleur croissante à partir des années 1970. D’autres éléments socio-historiques interviennent également dans cette tendance, tels que la montée en charge des mouvements victimaires à partir des années 1970 et une sensibilisation accrue des psychiatres à la dangerosité de certains patients dans un contexte d’ouverture des structures psychiatriques.
Cette tendance à la responsabilisation des patients présentant des troubles graves se poursuit. Cependant, depuis les années 1990, cette tendance s’appuie davantage sur une sensibilisation à la dangerosité de certains patients dans un contexte de pénurie de lits d’hospitalisation. Par ailleurs, c’est désormais en mobilisant un raisonnement imprégné des grandes classifications internationales de troubles mentaux et d’une approche neurobiologique de la maladie mentale que la responsabilisation de certains patients est soutenue. Comme si, au-delà de l’évolution de la discipline psychiatrique, une tendance croissante de la société à imputer des responsabilités se faisait jour.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Radicalisation et psychiatrie - Révolution tranquille - Titicut Follies
Références :
Caroline Protais, Sous l’emprise de la folie ? L’expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009), EHESS, 2016.
Laurence Guignard, Juger la folie, La folie criminelle devant les Assises au XIXe siècle, Presses universitaires de France, 2010.
Pour citer cet article : Caroline Protais, "Responsabilité psychiatrique" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.