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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Roe v. Wade

L’arrêt Roe v. Wade, adopté par la Cour suprême en 1973, a marqué un tournant dans l’histoire de l’avortement aux États-Unis. Signs at demonstration in front of SCOTUS, photographie prise par Janny Rye le 4 mai 2022.

   L’arrêt Roe v. Wade, adopté par la Cour suprême en 1973, a marqué un tournant dans l’histoire de l’avortement aux États-Unis. 

   Dans tous les États, il est devenu légal d’avoir recours à une IVG (Interruption volontaire de grossesse). En effet, avant cette affaire, l’avortement était légal dans seulement quatre États et treize autres l’autorisaient uniquement si la vie de la mère était en jeu. En 1972, un sondage a été fait à New York demandant aux habitants si l'avortement devait être un problème concernant uniquement une femme et son docteur : 68% ont répondu oui. Les avortements ont toujours existé, et à cause de leur illégalité dans certains États, la majorité d’entre eux étaient dangereux pour les patientes. La plupart essayaient de provoquer un avortement par leur propres moyens comme ingérer des produits dangereux, se jeter dans les escaliers ou encore s’insérer un objet long et fin dans l’utérus pour provoquer un avortement. Elles pouvaient également aller à l’étranger, dans un pays où l’IVG était légal, mais cela avait un coût important. Quelques médecins et docteurs pratiquaient cet acte en secret pour les patientes sans solution, mais ils risquaient d’aller en prison ou de perdre leur licence. 

   Dans ce climat, l’affaire Roe v. Wade devient une affaire très controversée au début des années 1970. Au Texas, en mars 1970, une femme voulut avoir recours à un avortement. Ne voulant pas dévoiler son identité, elle est surnommée « Jane Roe ». Roe fait donc face au procureur de la ville de Dallas : Henry Wade. En 1970, il était interdit d’avoir recours à l’IVG et les femmes du Texas devaient se rendre en Californie, à New York ou dans le Colorado pour avoir recours à l’opération légalement. Si elles avaient les moyens de se rendre dans ces États, elles étaient prises en charge par les cliniques. Alors, suivant le nombre de semaines de grossesse, une IVG médicamenteuse ou instrumentale est proposée à la femme enceinte. Ces procédures ne duraient que quelques heures et ces femmes pouvaient ainsi retourner chez elles dans la journée.

   Jane Roe (de son vrai nom Norma McCorvey), qui souhaitait se battre pour légaliser l’avortement au Texas, devint un symbole pour toutes les femmes du pays. Dans cette affaire, la question des droits humains est soulevée : le fœtus est-il une personne et a-t-il des droits ? Cette idée deviendra plus tard un argument du mouvement pro-vie qui souhaitera bannir l’avortement dans le pays et annuler l’arrêt Roe v. Wade.
 

   En 1973, cette affaire est plaidée devant la Cour Suprême des États-Unis, qui rassemblait neuf hommes d’âge mûr et qui était conservatrice. La principale question posée était la suivante : à quel moment la vie commence-t-elle ? Les réponses à cette question divergent selon les opinions et les acteurs. La décision d’un avortement revient-elle au gouvernement ou à la femme enceinte concernée ? À la grande surprise de tout le pays, la Cour suprême légalise l’avortement à 7 voix contre 2. À partir de cette décision, prise le 22 janvier 1973, l’avortement est un droit constitutionnel aux États-Unis. Cela signifie alors qu’aucun Etat ne pourra faire adopter de lois anti-avortement. Toute femme enceinte pourra avoir recours à un avortement jusqu’à 6 mois de grossesse mais également après 27 semaines si sa vie est en danger.
 

   Mais pour les chrétiens, cette idée est inadmissible car elle défie la loi de Dieu. Des interventions dans des cliniques d’avortement visent à empêcher la pratique. Les pro-vie vont se positionner devant les cliniques et faire pression pour faire changer d’avis les femmes qui y rentrent. Ils utilisent la honte et la culpabilité pour réduire le nombre d’avortements et tentent de faire fermer ces cliniques. Des fusillades ont même lieu dans ces manifestations et plusieurs docteurs et femmes sont blessés ou tués. Une clinique à Atlanta en 1997 subit des attentats à la bombe deux fois. Ces lieux construits pour la santé des femmes deviennent des cibles de haine.
 

   Cette violence provoque alors une peur qui s’installe peu à peu dans les États conservateurs : des docteurs démissionnent, des cliniques ferment par manque de médecins, les fonds diminuent. Les options d’avortement sont réduites. Ces idées divisent totalement le pays, d’un côté les pro-vie et de l’autre les pro-choix. Lors de l’élection présidentielle de 1980, Phyllis Schlafly qui fait campagne avec Ronald Reagan, s’empare de ce sujet sensible et rallie le mouvement des pro-vie à sa campagne. La victoire de Ronald Reagan donne de l’espoir aux mouvements pro-vie. Des rassemblements organisés par les opposants à l’avortement continuent par la suite. Ces pro-vie ne se basent généralement pas sur la santé des femmes dans leurs arguments, mais se concentrent sur Dieu et le droit au fœtus de vivre, au détriment même de la femme qui le porte. Pour les pro-choix, l'avortement est un acte médical comme les autres et les décisions portant sur les corps des femmes doivent être prises par les femmes concernées.
 

   Malgré ce combat, 50 ans après Roe v. Wade, la Cour Suprême revient sur sa décision et annule l’arrêt en juin 2022. En 2021, l’État du Mississippi souhaite limiter l’avortement et interdire la pratique après 15 semaines de grossesse. L’affaire Dobbs v. Jackson Women's Health Organization va alors être amenée devant la Cour Suprême. Thomas Dobbs, responsable de la santé du département de la santé du Mississippi fait face à la « Jackson Women's Health Organization », une clinique d’avortement à Jackson, dans l’État du Mississippi. Dobbs demande la révocation de l’arrêt Roe v. Wade pour redéfinir le droit constitutionnel à l’avortement qui est jugé comme n’étant pas « profondément enraciné dans l'histoire ou la tradition ». La Cour Suprême décide alors avec 6 voix contre 3 de révoquer l’arrêt Roe v. Wade en juin 2022. Cette révocation donne alors le choix à tous les États de décider s’ils protègent ou non le droit à l’avortement.

   Cette décision de révoquer l’arrêt Roe v. Wade ne peut en aucun cas supprimer les avortements aux États-Unis. En effet, le nombre de femmes qui souhaitent avorter ne diminue pas, c’est l’accès à des procédures encadrées qui devient limité. Les grossesses non désirées restent un problème présent partout, dans les États qui autorisent l’IVG comme dans ceux qui l’interdisent. 

 

Pour prolonger la lecture sur le dictionnaire : Avortement - Péridurale 



Mathilde Jervais - Le Mans Université

Références :

Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, Histoire de l'avortement : XIXe-XXe siècle, Éditions du Seuil, Paris, 2003.

Rickie Solinger, Abortion wars : a half century of struggle, 1950-2000, Publication Berkeley: University of California press, 1998.

 

Pour citer cet article : Mathilde Jervais, « Roe v. Wade », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

 

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