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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Saturnisme

La production et l’utilisation de la céruse est la source d’un débat qui, au XIXe siècle, oppose les cérusards aux anti-cérusards dans un contexte d’épidémie de saturnisme.Le combat de Blanc de céruse contre Blanc de zinc, revue La chronique médicale, 1909, BIUM.

   La production et l’utilisation de la céruse est la source d’un débat qui, au XIXe siècle, oppose les cérusards aux anti-cérusards dans un contexte d’épidémie de saturnisme. 

 

   Le saturnisme est une intoxication au plomb qui provoque de violentes crises abdominales, des paralysies et peut être mortelle. Son identification va mettre du temps à cause de symptômes que l’on compare à des coliques. Il peut être provoqué par la céruse, obtenue par l’oxydation de lames de plomb et que l‘on utilise pour blanchir la peinture.

 

   Après 1820, le secteur de la céruse explose en France. La consommation et la production locale augmentent. Cela provoque une épidémie chez les artisans peintres qui mélangent eux-même la céruse avec l’huile. En usine, la contamination provient de l’absence de gants et des ateliers empoussiérés par le ponçage de la céruse, pour retirer la céruse des lames de plomb. 

 

   Pour cette raison, en 1823, une loi interdit de vendre et de fabriquer de la céruse en pain et oblige la fabrication en poudre. Dans le même temps, l’État crée le Comité d’inspection consultatif des arts et manufactures regroupant les acteurs importants du secteur. Mais les membres du Comité ont tous des intérêts dans l’industrie de la céruse, comme Roard, le directeur de l’entreprise de céruse Roard, à Clichy, qui se trouve en être le vice-président. Le conseil va donc rédiger un compte-rendu bienveillant et nier la toxicité de la céruse. Or les chiffres prouvent le contraire. Il va donc émettre une simple affirmation sur la dangerosité de son mode de production. Cette loi est alors surtout utilisée comme argument sanitaire pour justifier la fin de l’importation concurrente, qui provient de Hollande car ce pays produit la céruse sous forme de pain. Elle est abrogée en 1825 car l’épidémie ne baisse pas.

 

   Les hygiénistes qui interviennent dans le débat minimisent les risques et s’accordent avec le discours des industriels : ils incriminent la pratique mais pas l’utilisation. Naît donc l’idée de fabriquer une céruse de sécurité pour se dédouaner. Ils adaptent donc les hommes au produit en mettant en place des moyens de protections individuels comme les masques et les gants mais l’épidémie empire. De plus, les masques empêchent les ouvriers de respirer librement ; la gêne les pousse à les retirer. Cela permet de rejeter la faute sur eux en cas de maladie en les accusant de ne pas respecter les mesures de sécurité, même si en réalité ils sont très mal informés et sont manipulés par la propagande des industriels. La solution envisagée est aussi technique : pour limiter la poussière, la production se modernise avec des machines à cheminée. Ces mesures permettent une amélioration mais un dixième des ouvriers continuent d’aller à l’hôpital.

 

   L’arrivée d’Edme Jean Leclaire marque un bouleversement dans les relations entre les industriels et l’État. Cet industriel autodidacte invente et élabore un substitut de la céruse : le blanc de zinc. Il rencontre un franc succès et le 24 août 1849, une loi déclare que le blanc de zinc doit être obligatoirement utilisé dans les travaux de peinture dans les bâtiments publics de l’État. L’arrêté est élargi par la circulaire du 15 février 1892 mais cela reste une prescription et non une proscription car la céruse est toujours utilisée dans le privé. Un débat se forme à partir de 1900, juste après l’affaire Dreyfus, qui voit s’opposer deux camps en référence à l’affaire : cérusards et anti-cérusards. Les cérusards pensent que la production est indispensable car il n’y a pas de « substitut de bonne qualité » et donc que la production est un mal nécessaire. En réalité, il s’agit encore de l’influence des industriels sur les intérêts de l’État. Ils mènent une campagne de discrédit et crient au complot judéo-maçonnique qu’ils considèrent responsable de la faillite de l’art français de la peinture. Ainsi ils opposent la céruse patriotique à l’oxyde de zinc qu’ils considèrent comme étranger et accusent les anti-cérusards d’être pro-Allemands. Ils ont d’autres arguments comme la difficulté à compter et à identifier les malades dans les hôpitaux. Ils instrumentalisent les chiffres, comparent seulement les chiffres entre les époques et les sous-évaluent. Leur stratégie est de complexifier et de déplacer le débat sur des sujets techniques, telle que la fabrication, pour exclure les médecins et l’opinion publique de la controverse. Parmi les cérusards, on trouve Yves Guyot, l’ancien ministre des Travaux publics, Alcide Treille, un médecin et député radical, et Charles Expert-Bezançon,  sénateur et important industriel dans la chimie. Georges Trouillot, alors ministre du Commerce et de l’Industrie, peut compter sur Abel Craissac, un ancien peintre devenu journaliste et responsable du syndicat des peintres de Paris, qui mène la réforme syndicale ainsi qu’une série de grèves contre les cérusards. Il s’allie à Georges Clemenceau et d’autres radicaux pour mener l’opposition. Finalement la loi du 20 juillet 1909 interdit l’utilisation du produit dans le secteur public mais pas sa production pour les artisans du privé.


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Phosphorisme- Sinistrose

Corentin Compain - Le Mans Université

Références :

Pascale Dietrich-Ragon, “Le paradoxe du plomb. Tensions autour du saturnisme”, Sociétés contemporaines, 2009/3, (n° 75), p. 131-153.

Judith Rainhorn, “Interroger l’opacité d’une maladie : le saturnisme professionnel comme enjeu sanitaire, scientifique et politique dans la France du XIXe siècle”, Histoire, économie & société, 2017/1, (36e année), p. 8-17.

Pour citer cet article : Corentin Compain, "Saturnisme", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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