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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Secte Skoptzy

Aujourd’hui de plus en plus de voix s’élèvent pour démocratiser l’accès à la vasectomie, mais cette pratique volontaire de stérilisation a déjà été développée dans la Russie du XVIIIe siècle. “Les Skoptzy. Cicatrices suite à l'ablation des seins”, Le progrès médical : journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie, 1877.

   Aujourd’hui de plus en plus de voix s’élèvent pour démocratiser l’accès à la vasectomie, mais cette pratique volontaire de stérilisation a déjà été développée dans la Russie du XVIIIe siècle. 

 

   L’un des grands principes de la secte Skoptzy repose sur la réalisation de castrations volontaires d’hommes et de femmes au sein du groupe. Les disciples fondent cette pratique sur des textes bibliques présents dans le Nouveau Testament, tel que l’évangile de saint Matthieu (18:8-9, 19:12), qui évoquent les eunuques positivement. Ces passages religieux sont repris dès 1757 par un paysan russe, Andreï Ivanov. Fondateur de la secte Skoptzy, il met en avant un idéal d’individu castré afin de défendre une forme de pureté. Même si ce dernier décède en Sibérie après y avoir été déporté, son discours continue de se propager, notamment en la personne de Kondrati Selivanov. Ce nouveau disciple affirme être la réincarnation de Pierre III, un ancien Tsar, mais aussi apôtre et fils de Dieu. Ce message d’un messie eunuque gêne le pouvoir tsariste qui apprécie peu que l’image d’un ancien empereur soit utilisée par les Skoptzy.

 

   La secte prône un idéal de vie reposant sur une abstinence sexuelle totale qui passe par l’ablation des organes reproductifs et ceux associés au plaisir. La pratique de la castration est réalisée par un chef de cérémonie en compagnie des autres fidèles qui consacrent ainsi l’appartenance des nouveaux membres à la secte. Les rituels se décomposent souvent en deux étapes pour les hommes, avec l’ablation des testicules et du scrotum, puis la suppression de la verge. Si l’image de la secte est fortement associée à des pratiques masculines, les femmes aussi sont sujettes à ces rites, par le biais de l’ablation des seins et d’incision ou de résection des organes liés au plaisir sexuel, tels que les grandes et petites lèvres et le clitoris. Afin d’assurer la pérennité de la secte, les fidèles attendent généralement d’avoir eu deux enfants avant de sacrifier leurs organes. La castration est pensée par les Skoptzy comme un moyen d’abstinence absolue, une étape vers la rédemption collective. Elle vient compléter les autres procédés ascétiques de la secte : la danse, la transe, les chants, la rigueur alimentaire, l’abstinence alcoolique et sexuelle. La castration n’est pas non l’unique mutilation pratiquée chez les Skoptzy, qui ont recours à d’autres mutilations sexuelles, comme les brûlures et les coupures.

 

   La castration volontaire des Skoptzy relève de la croyance religieuse, de l’inscription communautaire et de la conscience collective, elle est vue comme une marque d’intégration sociale. Le fait d’adopter un idéal de castration pour purifier les êtres amène à affronter le regard de la société qui considère ces mutilations comme une rupture avec les normes collectives. La conception qu’ils partagent du corps les conduisent à être perçus comme un danger et comme des fanatiques religieux. La menace n’est pas juste morale, mais aussi politique, puisque les Skoptzy sont présentés comme des appuis des révolutionnaires polonais qui veulent renverser le pouvoir russe. L’idée d’un appui à la révolte polonaise est même reprise dans un journal local français L'Indépendant des Basses-Pyrénées en 1869. 

 

   Tous ces éléments font des Skoptzy un danger pour la société russe, les conduisant dès le début de la secte à être déportés en Sibérie, comme l’a été leur premier guide Andreï Ivanov et son disciple Selivanov. Cependant, c’est au cours du XIXe siècle que le pouvoir tsariste intensifie la persécution en accentuant les déportations, puisque entre 1805 et 1870, plus de 5000 Skoptzy sont déportés en Sibérie. Le pouvoir encourage la persécution par les sujets de l’empire, en propageant des rumeurs sur des pratiques d’achats d’enfants pauvres par les Skoptzy afin de les castrer. L’intensification des persécutions et des déportations conduit à un déclin démographique et à des migrations vers la Roumanie. 

 

   Au début du XXe siècle, une période d’accalmie s’ouvre avec l’oukase du 17 avril 1905, qui donne l’autorisation aux Skoptzy de s’installer dans n’importe quelle ville de l’empire. Cela ne dure pas avec la révolution russe. Le potentiel contre-révolutionnaire des sectes religieuses est craint par les Bolcheviques, menant une offensive anti-religieuse. Les Skoptzy suscitent des fantasmes complotistes et basculent de nouveau dans la clandestinité dans les années 1920. Ils ne sont pas attaqués sur leur manque de virilité, leur physionomie trouble, c’est bien la dimension politico-religieuse de leur engagement sectaire qui inquiète les Soviétiques. À cette période, certains Skoptzy tentent de s’adapter au modèle soviétique. Ils défendent leurs idéaux avec de nouveaux arguments en mettant par exemple en évidence un fait : la castration rejoint la lutte contre les maladies vénériennes et les avortements. Ils mettent ainsi en avant une visée néo-malthusienne de la castration, leur rhétorique religieuse s’effaçant. Les Skoptzy ont quasi tous disparu à la fin des années 1930. La castration volontaire n’est alors plus une pratique populaire, elle bascule complètement dans le champ de la médecine.

 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Stérilisations masculines 



Élise Lelièvre - Le Mans Université

Références

Laura Engelstein, Castration and the Heavenly Kingdom: A Russian Folktale, Cornell University Press, 1999.

Élodie Serna, Les stérilisations masculines volontaires en Europe (1919-1939), Presses Universitaires Rennes, 2021.

 

Pour citer cet article : Élise Lelièvre, “Secte Skoptzy”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.



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