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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Spiegelgrund

Considéré comme l'un des lieux porteurs du programme d'euthanasie du IIIe Reich, le Spiegelgrund est un espace reflétant l'influence du nazisme sur la pédopsychiatrie.Le mémorial des victimes du Spiegelgrund (Hôpital Am Steinhof, Vienne) © Jean-Pierre Dalbéra.

   Considéré comme l'un des lieux porteurs du programme d'euthanasie du IIIe Reich, le Spiegelgrund est un espace reflétant l'influence du nazisme sur la pédopsychiatrie.

 

   Mise en vigueur dès 1933 à l'arrivée d’Hitler au pouvoir, la politique de santé s'organise dans le cadre de l'eugénisme et se définit au centre du programme de stérilisation de la population et plus tard, autour du concept de « politique d'euthanasie ». Ce programme concerne principalement les enfants, même si les adultes sont aussi touchés. C'est dans cette logique de Volk allemand, soit la constitution d'un peuple de personnes « parfaites » n'ayant de déficience que ce soit physique, mentale, sociale ou encore héréditaire, ainsi que de Gëmut (théorisé et défini comme les interactions sociales de l'individu dans une communauté) que ce dispositif se fonde, utilisant comme principaux lieux les centres psychiatriques comme le Spiegelgrund. 

 

   La politique eugéniste, théorisée par Francis Galton à la fin du XIXe siècle, est imposée par l'Allemagne nazie au sein de l'Autriche suite à son annexion en 1938. L'Autriche, plus spécifiquement sa capitale, Vienne, joue donc un rôle dans les meurtres de masse basés sur les critères raciaux et sociaux durant la Seconde Guerre mondiale autour de cette politique eugéniste. C’est dans le cadre de cette politique de santé, que le 24 juillet 1940 marque l'inauguration de l'établissement psychiatrique municipal d'assistance publique du Spiegelgrund. Situé au Nord-Est de Vienne, le Spiegelgrund devient l'un des centres psychiatriques les plus importants développant un vaste réseau entre foyers d'accueil, écoles spéciales et hôpitaux. L'établissement se compose de plusieurs pavillons, les 15 et 17 sont notamment surnommés les « pavillons de la mort » par l'ensemble de la population.

 

   Si l'étude du système adopté au sein du Spiegelgrund est déterminante dans la compréhension de cette politique eugéniste, c'est que cette institution développe, au service du IIIe Reich, les « diagnostics psychiatriques » déterminant les déficiences. Or, il est important de préciser que ces diagnostics tournent principalement autour de la détermination des origines sociales des enfants internés au sein du Spiegelgrund. En effet, près de 40% des enfants morts du Spiegelgrund étaient considérés comme des enfants originaires des basses couches de la société. Cette raison sociale était avant tout dissimulée sous l'attribution de diagnostics psychiatriques déterminant leur vie ou leur mort.

 

   Les conditions de vie y sont difficiles : faim, froid, punitions corporelles et expériences médicales s’ajoutent au programme d'euthanasie. Le Spiegelgrund est donc un espace où 789 enfants meurent entre 1940 et 1945 faisant de l'établissement le second plus grand centre d'euthanasie du Reich et enregistrant le taux de mortalité le plus élevé des « centres et services spéciaux pour enfants ». Leur mort étant camouflée, les certificats de décès des enfants présentent, pour la grande majorité, la mention de pneumonie, qui, en réalité, est causée par une surdose d'ingestion de barbituriques. Ces barbituriques ayant des effets sédatifs allant même jusqu'à des effets anesthésiques sur l'individu et son fonctionnement respiratoire.

 

   L'implication des professionnels de santé ainsi que de la population est déterminante dans la mise en place de cette politique d'euthanasie. En effet, les parents sont l'un des premiers acteurs de cette politique. En confiant leur enfant, certains ont conscience des événements qui s’y produisent. En outre, le reste de la population en est également informée, notamment par la dénonciation publique des médecins impliqués.

 

   Néanmoins, les médecins et psychiatres jouent un rôle prédominant dans cette politique. En effet, le personnel de santé du Spiegelgrund se compose des membres les plus éminents de celle-ci comme les médecins Erwin Jekelius, Ernst Illing, Franz Hamburger, ou encore Hans Asperger. Certains sont responsables de la mort d'enfants notamment par les expériences médicales menées. L'exemple le plus significatif est celui de Heinrich Gross qui collectionne des centaines de cerveaux d'enfants dans des bocaux au sous-sol du Spiegelgrund. Ces acteurs, complices par leurs actions, participent directement ou indirectement à cette politique d'euthanasie et ainsi au fonctionnement du Spiegelgrund, où les meurtres se perpétuent jusqu'en 1945.

 

   On pourrait penser que ces actions se terminent à la sortie de la guerre et à l'entrée des Soviétiques dans la capitale viennoise en 1945. Or, le Spiegelgrund reste en place et conserve son personnel de santé ainsi que certains enfants internés. Ce n'est qu'en 1950 que l'établissement ferme. En 2002, un mémorial fut érigé en l'honneur de ces enfants dont les dépouilles sont enterrées au sein du Spiegelgrund, devenant ainsi un lieu de mémoire.

 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Asperger - Surdité et eugénisme - Test d'intelligence

Julie Chevallier - Le Mans Université

Références :

Aly GÖTZ, Les anormaux : les meurtres par euthanasie en Allemagne : 1939-1945, Flammarion, 2014.

Edith SHEFFER, Les enfants d'« Asperger », Flammarion, 2019.

 

Pour citer cet article : Julie Chevallier, "Spiegelgrund" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.



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