Nous pouvons distinguer quatre périodes et différents jalons dans le développement de la télémédecine française. La phase des pionniers, qui débute au cours des années 1980, est incarnée notamment par le professeur Louis Lareng (également cofondateur du Samu en 1968), qui crée en 1989 l’Institut européen de télémédecine. Cette phase, qui voit émerger les toutes premières expérimentations, va s’étendre jusqu’aux années 2000.
La reconnaissance institutionnelle et juridique advient en 2004, avec la loi relative à l’Assurance maladie, qui définit la télémédecine a minima. Cette définition sera approfondie par l’article 78 de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) du 21 juillet 2009 : la télémédecine constitue une forme de pratique médicale utilisant les technologies de l’information et de la communication et permet, à distance, de réaliser un diagnostic, de recueillir un avis spécialisé, de surveiller l’état des patients, etc. Le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 définit cinq actes de télémédecine : la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la réponse apportée via la régulation médicale assurée par le SAMU/Centre 15, qui existait antérieurement.
Après la loi HPST et le décret de 2010 s’ouvre une nouvelle phase d’expérimentation, avec une période plus soutenue à partir du programme ETAPES (Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours en Santé), qui débute en 2014. Mais toutes ces expérimentations n’ont constitué qu’un préalable modeste dans le déploiement soutenu institutionnellement et financièrement par l’État. Les années 2010 sont donc marquées par le lent développement de la télémédecine jusqu’à la mise en place de la tarification et du remboursement de la téléconsultation, en septembre 2018, par l’Assurance maladie. En septembre 2019, un an après la mise en place du remboursement par la CNAM, un peu moins de 2 000 médecins seulement pratiquent la téléconsultation, soit moins de 1 % de l’ensemble des praticiens, tous modes d’exercice confondus. Environ 60 000 téléconsultations remboursées par la Sécurité sociale ont été réalisées sur les 500 000 initialement prévues.
Suite à cette période, une phase d’accélération soudaine des usages de la télémédecine débute en mars 2020, en lien avec l’épidémie de Covid-19. Elle se caractérise par l’assouplissement temporaire du cadre réglementaire d’exercice de la téléconsultation. C’est-à-dire le remboursement à 100 % par la CNAM pour les personnes atteintes par le Covid, la possibilité de faire des téléconsultations par téléphone, la prise en charge en dehors du parcours de soins coordonné, etc. Sans formation préalable, nombre de médecins ont pratiqué la télémédecine au pied levé, en se confrontant à des difficultés inédites (adaptation des pratiques cliniques à distance, nouveaux modes de communication, etc.).
Avant le confinement de la population française au printemps 2020, très peu de professionnels de santé avaient pratiqué la télémédecine et fait des téléconsultations. Celles-ci ne représentaient alors que 0,1 % de l’ensemble des consultations. Avec l’épidémie, leur poids relatif va s’élever très rapidement, jusqu’à atteindre 25 % lors du premier confinement. Pour le seul mois d’avril 2020, on dénombre ainsi 4,5 millions de téléconsultations remboursées par l’Assurance maladie. Toutefois, à la fin de la même année, après les phases de confinement, seuls 6 % des consultations s’effectuent à distance.
Ces différentes périodes de développement de la télémédecine française sont aussi marquées par le rôle central joué par la Société française de santé digitale (SFSD). Depuis sa création en 2006, celle-ci est parvenue, grâce à l’engagement et à l’influence de ses représentants, tel le docteur Pierre Simon, à défendre avec succès une conception clinique de la télémédecine auprès de différentes instances de représentation institutionnelles et politiques. Elle a aussi joué un rôle de conseil auprès de toute une série d’opérateurs qui, à l’échelle locale, contribuent directement au développement des projets de télémédecine. Depuis la seconde moitié des années 2010, la SFSD conçoit l’information des praticiens médicaux, mais aussi et surtout leur formation à la télémédecine comme un enjeu majeur de ce déploiement et œuvre activement à son expansion.
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Références :
Mathieu-Fritz Alexandre, Le praticien, le patient et les artefacts. Genèse des mondes de la télémédecine, Paris, Presses des Mines, 2021.
Mathieu-Fritz Alexandre, Gaglio Gérald, « À la recherche des configurations sociotechniques de la télémédecine. Revue de littérature des travaux de sciences sociales », Réseaux, vol. 36, n° 207, janvier-février 2018, p. 27-63.
Pour citer cet article : Alexandre Mathieu-Fritz, "Télémédecine" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.