Le transhumanisme estime que l’humanité peut passer d’une évolution biologique subie à une évolution technique choisie. Le mouvement qui le supporte se structure autour d’une vision originale de l’avenir de l’homme : une mutation radicale, du fait des développements technologiques, va permettre à l’homme de s’affranchir de ses contraintes biologiques. Cette mutation intéresse les techniques médicales : l’augmentation de nos capacités physiques, psychiques, cognitives (enhancement) ; la fin, progressive ou radicale, du vieillissement ; et aussi, plus indirectement, la colonisation spatiale. Parmi ces trois utopies, la victoire sur la mort naturelle est la plus fédératrice et constitue le marqueur idéologique du transhumanisme.
Les transhumanistes opposent une médecine qui viserait à la préservation de l’état actuel de l’homme dans une perspective étroitement thérapeutique à une autre qui chercherait au contraire à dépasser cet état et à améliorer la condition humaine. Selon eux, les évolutions technologiques récentes promeuvent cette médecine d’augmentation et exigent que l’on modifie les règles éthiques encadrant l’art médical. S’opposant à la plupart des morales établies, les transhumanistes jugent comme pathologique la condition biologique de l’homme. Refusant d’accepter passivement la mort quotidienne de millions de personnes, ils défendent ainsi la sélection eugénique, les conditionnements chimiques, les modifications génétiques, voire le clonage, le développement de prothèses. C’est au nom de l’état futur d’une humanité libérée de ses entraves biologiques que l’on doit définir et orienter le développement de la médecine actuelle, tant dans ses politiques publiques que dans sa régulation éthique.
Les liens entre le transhumanisme et les industries de biotechnologies sont multiples. Le transhumanisme a participé à l’émergence de la mouvance anti-aging aux États-Unis au cours des années 2000, qui réclame notamment que le vieillissement soit reconnu comme une pathologie. Dix ans plus tard, les « techno-milliardaires » des multinationales d’internet sont entrés dans la dynamique : leurs projets concernent la médecine dite « prédictive », mais aussi des recherches sur les mécanismes du vieillissement afin de pouvoir le supprimer. Le transhumanisme remplit auprès du biocapitalisme (américain pour l’essentiel) une fonction de légitimation : il est mobilisé, parfois malgré lui, dans les storytelling qui permettent à cette « économie des promesses » d’attirer les capitaux.
S’il séduit certains industriels et fournit aux communicants des arguments, le transhumanisme a-t-il pour autant sa place dans les laboratoires ? Des chercheurs conduisent-ils des travaux nourris par la vision transhumaniste ? L’imaginaire transhumaniste influence-t-il les attentes de ceux qui organisent ces recherches et de ceux qui en bénéficient ? Ces interrogations sont à placer dans l’évolution de la technoscience quand, quelque part dans les années 1990, « le style entrepreneurial du monde des affaires [a pénétré] le monde libre de la connaissance » (Bernadette Bensaude-Vincent) : le programme technique contemporain consistera à modifier l’homme plutôt qu’à adapter son environnement, transformant les techniques médicales en « anthropotechniques » (Jérôme Goffette). Certes, ces techniques ont toujours connu dans l’histoire des usages non thérapeutiques. Mais à présent, ce glissement devient structurel et trouve avec le transhumanisme une justification théorique. Objet de controverse autant que porteur de propositions, le transhumanisme participe ainsi du débat public sur les questions éthiques, le transformant au passage. Ainsi, la thématique de l’augmentation/amélioration pour penser les finalités de la médecine s’est-elle imposée à tous, amenée sur la table par les théoriciens transhumanistes américains du début des années 2000.
Finalement, le transhumanisme a un impact important sur l’évolution de la médecine contemporaine, car il vient apporter une légitimité théorique à des évolutions structurelles, souvent issues de choix économiques et politiques. Cette légitimité s’affirme parfois de façon directe, mais le plus souvent par le biais de glissements dans le débat public et de la diffusion de thématiques transhumanistes.
Références :
Franck Damour, Le transhumanisme. Histoire, technologie et avenir de l’humanité augmentée, Eyrolles, 2019.
Gilbert Hottois, Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, Vrin, 2017.
Pour citer cet article : Franck Damour, "Transhumanisme", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.