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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Accouchement à l'hôpital

Du domicile à l’hôpital, l’histoire de l’accouchement a connu de grands bouleversements au XXe siècle.« Accouchement », photographie d'André Zucca, 1943.

Du domicile à l’hôpital, l’histoire de l’accouchement a connu de grands bouleversements au XXe siècle.

 

   La naissance étant un événement social bien plus que médical, il est normal que celui-ci ait eu lieu principalement au domicile familial. Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que l’on voit apparaître des maternités. Celles-ci ont pour objectif d’offrir un lieu de naissance pour les femmes pauvres et les filles-mères et ainsi prévenir les infanticides. Ces institutions représentent également un lieu d’apprentissage pour les sages-femmes et les obstétriciens qui, depuis l’ère des anatomistes, tentent de prendre de plus en plus de place dans l’univers jusque-là féminin de la périnatalité. Jusqu’au XXe siècle, il est donc rare d’accoucher à l’hôpital. 

 

   De nos jours, la première raison d’hospitalisation au Québec est l’accouchement. Mais qu’est-il arrivé pour que les femmes en viennent à choisir d’accoucher à l’hôpital ? La qualité des avancées médicales perçue à travers la baisse du taux de mortalité maternelle et infantile n’est pas le seul facteur, car les premières phases de l’hospitalisation de la naissance viennent d’une volonté des élites médicales d’une part et d’autre part d’une tendance générale à hospitaliser les patients pour offrir des soins médicaux. La renommée croissante d’équipements qui ne se trouvent qu’à l’hôpital fait en sorte qu’en général les soins médicaux sont centralisés dans les hôpitaux. La volonté de l’État de voir sa population augmenter suite aux pertes humaines de la Première Guerre mondiale influence dans une perspective nationaliste ce changement d’habitude en effectuant un suivi plus serré et normalisé des grossesses et des accouchements. C’est aussi dans l’optique de faire baisser le taux de mortalité infantile extrêmement élevé que les médecins hygiénistes du début du XXe siècle proposent d’éduquer les femmes en utilisant tous les médias qui sont à leur disposition : lettre prénatale (une série de lettres qui étaient envoyées aux femmes tout au long de leur grossesse pour leur expliquer, mois après mois, ce qui se passait en elle et les changements qu’elles pourraient être amenées à connaître), concours de beauté, livre prénatal, brochures et émissions de radio. 

 

   Globalement, c’est au XXe siècle que le basculement du lieu d’accouchement s’opère tant en Amérique qu’en Europe. En Suède, avec l’accès au soulagement de la douleur qui n’est offert par les médecins qu’en centre hospitalier, l’accouchement à l’hôpital est popularisé dès les années 1920. Au Québec, c’est dans les années 1950 que le transfert de l’accouchement vers l’hôpital s’intensifie et c’est après 1960, lorsque des programmes publics et universels d’assurance maladie qui couvrent entièrement les frais d’hospitalisation, que l’accouchement se voit complètement transféré à l’hôpital. En choisissant d’offrir les soins médicaux en centre hospitalier et non plus à domicile, les acteurs sociaux, tels les élites médicales et l’État ont donc eu bien plus d’influence que les avancées scientifiques en matière d’enfantement. Comme les politiques sont initiées par des acteurs sociaux qui ont leur propre individualité, cela engendre une certaine disparité entre les pays dans l’évolution de l’histoire de l’accouchement, ce qui explique que le transfert a eu lieu dans les années 1920 en Suède et en 1950-60 au Québec.

 

   L’urbanisation donne aussi une impulsion à ce changement de trajectoire de l’histoire de l’accouchement. Les femmes urbaines, qui ont eu des conditions de vie bien différentes de celles des femmes rurales, voient leur quotidien changer sensiblement et ces nouveaux repères génèrent des nouveaux besoins auxquels les idées de modernité répondent parfaitement. L’hôpital, par exemple, avec ses espaces propres et sécuritaires et ses machines sophistiquées, telle la radiographie, qui permet de voir la position du bébé,  représente le symbole par excellence de cette modernité recherchée au cours du XXe siècle. 

 

   La spécialisation des médecins, qui alimente en parallèle la diversification et la spécialisation des hôpitaux, fait en sorte que de plus en plus d’obstétriciens et gynécologues veulent s’occuper de l’accouchement normal. Par cette prise de possession de la clientèle des accouchées, la sage-femme, qui était une praticienne autonome jusqu’en 1840 au Québec avant que le puissant Collège des médecins n’intervienne, est reléguée au statut d’auxiliaire spécialisée, quand ce n’est pas une simple assistante du médecin. En effet, contrairement à un peu partout dans le monde, le métier de sage-femme a complètement disparu entre 1840 et 1999, l’année de mise en place du projet pilote pour le retour des sages-femmes.

 

   En somme, l’intervention de l’État et des élites médicales avec des décisions comme la naissance de l’assurance maladie, l’urbanisation et ses nouveaux besoins ainsi que la spécialisation médicale et la disparition de la pratique de sage-femme ont influencé le changement de pratiques et de paradigmes en matière d’accouchement au Québec, et ce tout au long du XXe siècle. Il est intéressant de constater que de nos jours on assiste à un retour à l’accouchement à la maison avec l’intérêt grandissant pour la pratique sage-femme.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Césarienne- Allaitement

Karine Forget - Université du Québec, Trois-Rivières

Références :

Andrée Rivard, Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Remue-Ménages, 2014.

Signild Vallgarda, Hospitalization of Deliveries : the Change of Place of Birth in Denmark and Sweden from the Late Nineteenth Century to 1970, Medical History, 1996.

Pour citer cet article : Karine Forget, "Accouchement à l'hôpital", dans Hervé Guillemain, DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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