Mentoux, Chevère, Les grands effets merveilleux de l'Acupuncture, estampe, première moitié du XIXe siècle, Musée Carnavalet Histoire de Paris.
Quand le docteur Louis Berlioz - le père du compositeur - publie en 1816 Mémoires sur les maladies chroniques, les évacuations sanguines et l’acupuncture, peu d’auteurs français se sont encore intéressés à ce que l’on appelle alors la “médecine des chinois”. De fait, contrairement à ce que peut laisser penser le titre, la pratique de l’acupuncture n’y fait l’objet que d’un court chapitre. Pour Berlioz, c’est pourtant selon lui une technique incroyable qui permet de réduire de nombreux maux, notamment les désordres du système nerveux. Mais, bien qu’efficace, la technique doit être complétée par quelque chose d’autre comme de l’opium ou des évacuations sanguines. Berlioz recommande alors la méthode pour de nombreux maux tels que les contusions sans ecchymose, les douleurs qui sont la suite d’un effort ou d’un travail forcé ou les rhumatismes vagues. Il envisage même de l’utiliser pour ramener les asphyxiés à la vie. Berlioz n’a pas vraiment connaissance des techniques asiatiques, il se sert alors, d’après ses dires, d’une aiguille d’acier longue de trois pouces « que je n’enfonce pas à coups de marteau comme les Chinois et les Japonais mais en la roulant entre mes doigts ». S’il ne voit pas l’intérêt d’utiliser plusieurs aiguilles, il n’exclut pas l’utilisation de l’électricité qui serait transmise dans le corps avec l’aiguille. Le travail de Louis Berlioz constitue une première réception de l’acupuncture en France au début du XIXème siècle.
Certains médecins comme J. Morand ont lu l’ouvrage de Berlioz et contribuent à la diffusion de la pratique. À leur suite, Jules Cloquet introduit l’acupuncture dans les salles de chirurgie et les consultations de l’hôpital Saint-Louis à Paris. L’acupuncture intéresse alors les milieux médicaux parisiens dans les années 1820. En réponse à une médecine officielle peu holistique naît une nébuleuse de médecines alternatives venant souvent des milieux de gauche, rêvant de renverser autant la société que l’ordre médical : le mesmérisme, la phrénologie, l’acupuncture et l’homéopathie. Un réseau se crée entre acupuncteurs parisiens (Saint-Louis, l’Hôtel-Dieu, la Pitié et la Charité). Ainsi, on commence à débattre sur la pratique : la composition des aiguilles - les aiguilles d’or et d’argent sont remplacées par des aiguilles d’acier -, le nombre d’aiguilles, les lieux à piquer, les maladies traitées. Mais c’est surtout la « manière d’agir » de cette pratique qui interroge et intéresse. Tous ces praticiens sont d’accord sur l’existence d’un fluide. C’est sur ce dernier que l’acupuncture aurait une action. Soit cette technique soutire le fluide morbide, comme le pense Cloquet, soit elle en interrompt le cours, comme le conçoit Pelletan, soit elle restitue le fluide manquant, comme l’affirme Berlioz.
Jules Cloquet, membre de l’Académie de médecine, l’élite médicale donc, expérimente cette technique. Cinquante malades par jour consultent auprès de lui entre 1824 et 1825. Il traite principalement les rhumatismes et les névralgies. Selon les expériences, relatées par Morand et Dantu, la piqûre est locale, limitée à la zone douloureuse.
Comme dans l’histoire du magnétisme animal, l’idée de trajets invisibles, de souffle et d’action à distance disparaît progressivement à un moment où le savoir médical européen se tourne vers l’anatomie. Ce phénomène de mise à distance est renforcé par la politique coloniale de la France qui tente de s'imposer dans la Chine impériale et en Indochine et qui dénigre les cultures extra-européennes. L’acupuncture qui est issue de nations japonaise et chinoise est alors vue comme une pratique superstitieuse. On est aussi à un moment où l’orthodoxie médicale se renforce sous l’effet des législations (loi du 19 ventôse an XI , 10 mars 1803). Bien que tous les acupuncteurs soient tous des médecins, ils ne savent pas expliquer le mécanisme de la guérison et ils prétendent guérir sans expliquer de façon rationnelle les effets de l’acupuncture - ce qui va à l’encontre des principes de la médecine officielle -, ils passent alors pour des charlatans. Connue depuis la fin du XVIIème grâce aux écrits de jésuites et de médecins de guerre tels que Kaempfer et Ten Rhyne, la « médecine des Chinois », n’est plus pour les Européens, qu’un ensemble de superstitions et de croyances, bien en retard sur la médecine de l’Occident.
Cette mode de l’acupuncture finit par décliner dans les années 1830. Il faut attendre un siècle pour que l’acupuncture se réimplante durablement.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Homéopathie - Hypnose musicale
Références :
Olivier Faure, ”Le surgissement de médecines « révolutionnaires » en France (fin XVIIIe - début XIXe siècle) : magnétisme, phrénologie, acupuncture et homéopathie”, Histoire, médecine et santé n°14, 2018, p.29-45.
Ronald Guilloux, “L’acupuncture et le magnétisme animal face à l’orthodoxie médicale française (1780–1830)”, Gesnerus, n°70, 2013, p.211-243.
Pour citer cet article : Charlotte Hypeau, “Acupuncture”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.