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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Asile

Lors de la séance du lundi 24 janvier 1938, le psychiatre René Charpentier, alors président de la Société Médico-Psychologique, annonce, devant ses confrères, la décision du ministère de la santé de requalifier les asiles d’aliénés en hôpitaux psychiatriques.Cours des cellules d'isolement de l'asile de Sainte-Anne, 1929, Henri Manuel, BHVP.    Lors de la séance du lundi 24 janvier 1938, le psychiatre René Charpentier, alors président de la Société Médico-Psychologique, annonce, devant ses confrères, la décision du ministère de la santé de requalifier les asiles d’aliénés en hôpitaux psychiatriques. 

 

    Ce changement de nom, comme ne manqua pas de le rappeler le psychiatre, était un vœu émis de longue date par des médecins réformateurs et ne constituait guère une « innovation » pour ce dernier. De surcroît, s’il reconnaissait par cette mesure la volonté affichée des pouvoirs publics de médicaliser les établissements destinés aux aliénés, Charpentier considère néanmoins que l’épithète « psychiatrique » adossé au substantif « hôpital » perpétue une distinction entre ces derniers et les hôpitaux généraux. La réaction mesurée du président face au décret du 5 avril 1937 met ainsi en évidence la volonté d’une partie des psychiatres de cette époque de rompre avec le système asilaire et ses caractéristiques carcérales. 

 

    L’asile avait pourtant été défini dans la littérature médicale de la fin du XVIIIe siècle comme une alternative à l’enfermement des fous. Le terme même d’asile renvoyait à un espace spécifiquement réservé aux « insensés » dans lequel ces derniers étaient séparés des autres malades et des détenus des maisons de force. Cette première définition de l’asile, comprise comme un refuge, est reprise et complétée durant la première partie du XIXe siècle par les pères fondateurs de l’aliénisme. Le médecin Jean-Etienne-Dominique Esquirol théorise la dimension thérapeutique de l’isolement asilaire. L’isolement, c’est-à-dire le placement d’une personne atteinte d’aliénation dans un espace reclus, constituait à la fois le principe et la condition sine qua non de tout traitement. L’isolement du malade dans un asile doit non seulement le séparer de son environnement socio-familial considéré comme pathogène et ayant causé son trouble, mais surtout permettre à l’aliéniste de poser un diagnostic et de le “redresser” par l’intermédiaire d’un traitement dynamique. L’asile, tel qu’il est conceptualisé par les aliénistes du XIXe siècle, était ainsi autant « un instrument des soins » qu’un refuge et devait, en ce sens, répondre à une double condition de l’assistance : « l’assistance par le traitement curatif pour les aliénés curables [et] l’assistance par le refuge pour les aliénés incurables ». 

 

    Cette assistance aux aliénés est actée par la loi du 30 juin 1838, qui dispose, dans son article premier, que : « Chaque département est tenu d’avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé, soit de ce département, soit d’un autre département ». Les individus étant considérés comme atteints d’aliénation mentale et troublant l’ordre public pouvaient être placés dans un établissement spécial selon les deux modalités d’admission prévues par la loi : par le placement dit « d’office » ordonné par l’autorité de police, ou par le placement dit « volontaire » demandé par la famille. La législation demeure cependant imprécise quant aux soins à prodiguer et au type d’établissement dans lequel sont placés les malades. Elle laisse aux aliénistes la charge de diagnostiquer le trouble et d’administrer les soins aux aliénés. La prise en charge de ces derniers repose, durant le XIXe siècle, sur une grande diversité de structures avec des statuts juridiques très variés (asiles départementaux, asiles autonomes, quartiers d’hospice etc…) et regroupés sous l’expression « asile d’aliénés » ( bien que celle-ci n’ait jamais été mentionnée dans la loi). 

 

    À la fois institution de placement et instrument thérapeutique reposant sur le principe de l’isolement des malades, l’asile d’aliénés devient au cours du dernier tiers du XIXe siècle synonyme d’enfermement et d’inefficacité. La croissance de la démographie asilaire rend de fait impossible toute tentative de traitement personnalisé. Aussi, durant l’entre-deux-guerres, le mouvement de l’hygiène mentale dirigé par le psychiatre Edouard Toulouse propose l’abandon du terme asile, alors stigmatisé, pour lui substituer celui d’hôpital. La proposition n’est pas que symbolique. Toulouse propose une refonte de l’organisation de la prise en charge des malades mentaux en imposant une distinction entre les hôpitaux de traitement aigus et divers établissements prenant en charge les malades selon leur degré de curabilité. Les malades chroniques ou criminels sont envoyés dans des structures distinctes, dont les asiles et les hospices. Au contraire de l’asile d’aliénés, l’hôpital psychiatrique proposé par Toulouse devait se limiter aux malades curables et disposer de services libres ne nécessitant pas le recours à la loi de 1838. 

 

    Bien qu’envisagée par le psychiatre, cette spécialisation des établissements suscita de nombreuses réserves auprès de ses confrères. Aussi, lorsque les asiles changèrent de nom peu d’entre eux disposaient des services libres ou d’observation qui devaient constituer l’hôpital psychiatrique. Constat amer qui fit dire aux psychiatres d’après-guerre que si l’hôpital avait été proclamé, les asiles étaient restés.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Valises du Willard State Hospital (New York) - Humanisation

Gaspard Bouhallier - Lyon 2 - LARHRA

Références :

Jan Goldstein, Consoler et Classifier, l’essor de la psychiatrie française, Institut Synthélabo, 1997 [1987]. 

Isabelle von Bueltzingsloewen, « Réalité et perspectives de la médicalisation de la folie dans la France de l'entre-deux-guerres »Genèses, 2011/1 (n° 82), p. 52-74.

Pour citer cet article : Gaspard Bouhallier, "Asile", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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