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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Barbituriques


L’histoire commerciale des somnifères commence avec les barbituriques, mais leur usage ne s’est pas limité au traitement des troubles du sommeil.Flacon de Veronal en crystal, produit par Bayer Product Limited, 1903-1950. Science Museum Group Collection, Londres.

   L’histoire commerciale des somnifères commence avec les barbituriques, mais leur usage ne s’est pas limité au traitement des troubles du sommeil.

 

   Selon une étude de 2017 menée par l’Inserm, entre 15 et 20% de la population française souffre de l'insomnie et environ un Français sur huit consomme régulièrement des somnifères. En comparaison avec l’Allemagne, où un citoyen sur 18 seulement a recours à ce traitement pour mieux s’endormir, le taux de consommation des somnifères en France apparaît beaucoup plus élevé. 

 

   Les troubles du sommeil ne sont pas une nouveauté et des remèdes pour traiter l’insomnie existent depuis longtemps, comme en témoigne l’histoire des premiers médicaments commercialisés. Le premier barbiturique est synthétisé en 1864 par Adolf von Baeyer, un chimiste allemand. Le médecin Josef von Mering et le chimiste Emil Fischer développent cette molécule et en font en 1904 le premier somnifère commercialisé : le Véronal. Les deux scientifiques testent leur remède d’abord sur des chiens, puis sur les patients d’un asile. Ces expérimentations montrent que le Véronal calme et sédate efficacement les sujets traités. La commercialisation du produit est ainsi un succès. Il est utilisé aussi bien dans le cadre privé que professionnel, en cabinet et dans les institutions de soins. Au début du XXe siècle, près d’un quart de la population allemande déclare souffrir d’insomnie et le Véronal apparaît donc comme une sorte de « remède miracle ». 

 

   Les deux entreprises allemandes qui produisent le somnifère, Bayer et Merck, en tirent des profits considérables. Les pharmacies vendent ainsi le Véronal sans ordonnance sous différentes formes galéniques, du liquide ou des tablettes que l’on peut dissoudre dans une boisson. Cependant, la large diffusion - presque sans contrôle - des barbituriques commence à produire des effets collatéraux. Si à dose minime, le Véronal provoque un sentiment d’étourdissement et aide à s’endormir, à dose plus forte il peut rapidement devenir fatal. Cette dangerosité inhérente est renforcée par la rapide accoutumance du corps au produit, la perte du pouvoir d’endormissement entraînant une augmentation des doses dans un cercle vicieux. Les accidents de posologie mènent en 1908 à l’obligation d’une prescription médicale pour pouvoir acheter le somnifère. Le pouvoir mortel de l’hypnotique est encore plus fort si on le mélange avec de l’alcool. Les barbituriques ont ainsi rapidement pris, à partir des années 1920, une place importante dans les tentatives de suicide. Le suicide de Marilyn Monroe en 1962 en est un exemple marquant.

 

   Les barbituriques ne sont pas seulement utilisés pour traiter l’insomnie. Au fil du temps, et de nouvelles synthèses chimiques, ils trouvent d’autres champs d’application. À partir des années 1910, le Phénobarbital, un dérivé de l’acide barbiturique, permet de soulager l’épilepsie. Pendant la Première Guerre mondiale, Alfred Hauptmann, médecin dans une institution psychiatrique, donne du Phénobarbital à ses patients épileptiques pour les endormir. Il remarque que ce remède calme les crises d’épilepsie et réduit la fréquence des attaques pendant la journée. Les capacités de sédation des barbituriques ont multiplié ses champs d’interventions - anesthésie, troubles psychiatriques - avec le recours aux « cures de sommeil » qui se développent dans les années 1920. Les patients sont endormis, parfois pour plusieurs jours, avec un barbiturique qui porte le nom de Somnifen. Ces cures pouvant accidentellement mener au décès des patients sont cependant progressivement arrêtées après-guerre.

 

   À ce tableau déjà un peu sombre il faut ajouter un épisode qui fait grand bruit dans la République Fédérale d’Allemagne dans les années 1960. Il s’agit du « Contergan-Skandal », le scandale du Contergan. Le Contergan est un somnifère dérivé des barbituriques, qui est commercialisé en 1957 par l’entreprise allemande Grünenthal. Pourvu d’effets secondaires graves non-mentionnés, il cause des malformations congénitales s’il est pris pendant la grossesse. En Allemagne, principal consommateur du médicament, environ 5 000 enfants souffrent de malformations causées par le somnifère et environ 40% d’entre eux meurent prématurément. Cette affaire mène outre-Rhin à une régulation renforcée des remèdes, les entreprises de pharmacie devant ainsi nommer systématiquement les effets secondaires possibles de leurs spécialités.

 

   Quoique les barbituriques aient un effet indéniable, on peut s’interroger sur les politiques qui ont laissé se développer des somnifères certes efficaces, mais aux effets secondaires mortifères. Recherche du profit, sacralisation du progrès et fierté nationaliste d’avoir des champions de l’industrie chimique ont permis de disqualifier des méthodes traditionnelles à l’efficacité peut-être moindre mais aux risques presque nuls. Par bien des aspects, les barbituriques sont une illustration de cette tendance qu’a eu la médecine scientifique à faire porter la charge du risque sur le patient dans une inversion totale de ce qu’est habituellement le triangle hippocratique

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Lomidine - Héroïne

Carolin Bertsch - Le Mans Université

Références :

Lopez-Munoz Francisco, Ucha-Udabe Ronaldo, Alamo Cecilio, “The history of barbiturates a century after their clinical introduction“, in Neuropsychiatric disease and treatment, vol. 1(4), 2005, p. 329-343.

K. Randall David, Im Reich der Träume – Die rätselhafte Welt des Schlafens, Berlin, Springer-Verlag, 2014.  

 

Pour citer cet article : Carolin Bertsch, "Barbituriques", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.



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