La botanique fut longuement l’affaire des médecins, puisqu’une grande majorité des médicaments se composaient de végétaux, avant que n’apparaisse la pharmacologie. La plante était alors vue comme utilitaire, seulement décrite pour ses vertus thérapeutiques. Les travaux des naturalistes connurent un renouveau entre la fin du Moyen Âge et la Renaissance, période au cours de laquelle la révolution de l’imprimerie donna un coup d’accélérateur à l’économie du livre, les ouvrages d’histoire naturelle participant à la renommée et au succès financier de leurs auteurs et éditeurs. Toutefois, au XVIe siècle, les médecins naturalistes tels que Leonhart Fuchs ou William Turner ne s’arrêtèrent pas à la diffusion au sein d’un milieu strictement universitaire. Ils choisirent de traduire leurs œuvres en langue vernaculaire, afin de toucher un public plus large que celui qui comprenait le latin ou le grec. Ces traductions eurent un grand retentissement auprès de publics élargis, apothicaires, barbiers-chirurgiens, curieux d’une élite instruite, fascinés par les larges planches illustrées.
Au départ, l’illustration botanique resta l’apanage des médecins qui en donnaient la direction, avant de s’étendre à une pratique « botanique » pure ou de « loisir » durant le siècle des Lumières. Elle permettait d’identifier les spécimens végétaux d’un seul coup d’œil, par des dessins pris « sur le vif » (ad vivum), à partir de modèles vivants (ou bien récoltés et séchés). Ce phénomène transforma le style des représentations graphiques, passant de l’imaginaire (par exemple, le dessin fantaisiste de la mandragore femelle à la forme anthropomorphique, remède contre l’infertilité) au naturalisme que nous connaissons de nos jours. Petit à petit, les riches illustrations de planches botaniques et les herbiers imprimés ornèrent les bibliothèques des propriétaires des premiers cabinets de curiosités. Entre le XVIe et le XVIIe siècle, le Français Jacques Daléchamps décrivit plus de 2700 plantes, et l’Anglais John Ray plus de 6000. L’idée de décrire les plantes locales s’imposa aux médecins avec l’objectif de réduire les coûts des remèdes qui pouvaient atteindre des sommes colossales.
L’exploration du monde amena les botanistes à observer de nouvelles plantes « exotiques » qui entrèrent dans la pharmacopée européenne du XVIIe au XIXe siècle. La classification des végétaux changea pour intégrer une véritable problématique d’identification et d’inventaire des plantes, ainsi qu’une description tant de leur physiologie que de leur milieu naturel. La botanique fut alimentée financièrement par de nombreux acteurs, attirés par les intérêts économiques et politiques qui en découlaient. Les rois et reines d’Espagne, de France, d’Angleterre et d’autres couronnes, s’intéressèrent de près à la médecine botanique et envoyèrent des expéditions scientifiques régulières en terres colonisées, tout en finançant des jardins botaniques. Le Journal de la santé du roi Louis XIV démontre que celui-ci fut soigné de ses fièvres par du quinquina, écorce d’une plante venue du Pérou, apportée par l’Anglais Talbot, médecin de Charles II. Le quinquina fut très utilisé durant les XIXe et XXe siècles, la première synthèse de la quinine ayant eu lieu en 1944. D’autres médecins ne juraient plus que par les racines d’ipécacuanha comme remède fébrifuge, et le roi Louis XIV offrit le monopole de son commerce au médecin Helvétius. Les racines d’ipéca furent prescrites très fréquemment jusqu’au XXe siècle.
Les nouveaux remèdes étaient souvent suspects. Les enjeux autour de ces plantes miraculeuses étaient alors de mieux les connaître pour s’en approprier l’usage correct, afin de résister aux maladies survenues dans les colonies éloignées ou aux nouvelles épidémies, et de pouvoir également les transporter. Cette circulation de médicaments végétaux entraîna améliorations et innovations dans le domaine de la conservation, de la transplantation et de l’acclimatation des plantes. Le gingembre devint un rhizome communément cultivé en Asie, en Europe et enfin aux Amériques, et le café arriva jusqu’en Australie en 1880, par introductions et acclimatations successives. Devenue enjeu économique et politique, l’acclimatation connut pourtant de nombreux échecs commerciaux et scientifiques au cours des XVIIIe-XIXe siècles, comme par exemple l’échec de l’adaptation de la racine de Méchoacan venue du Mexique.
La découverte des plantes médicinales ne se fit pas sans heurts. Symboles de la colonisation des savoirs, elles furent découvertes et exploitées par le travail des médecins, des naturalistes mais aussi des acteurs et actrices intermédiaires invisibilisés : dessinatrices, assistants, ouvriers et esclaves. Au XVIIIe siècle, Hans Sloane, naturaliste-collectionneur, fondateur du Chelsea Physic Garden, membre de la Royal Society, constitua un immense herbier de plus de 120 000 plantes, qui n’aurait pas pu voir le jour sans le commerce triangulaire et la traite d’esclaves.
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Références :
Daniela Bleichmar, Visible Empire: Botanical Expeditions and Visual Culture in the Hispanic Enlightenment, University of Chicago Press, 2012.
Samir Boumediene, La colonisation du savoir : une histoire des plantes médicinales du ‘Nouveau Monde’ (1492-1750), Les éditions des mondes à faire, 2016.
Pour citer cet article : Tassanee Alleau, "Botanique médicale", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.