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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Constipation

Parler de la constipation peut sembler au mieux anecdotique et au pire incongru. Pourtant, comme toutes les problématiques de santé, la constipation a une histoire. Affiche publicitaire, Poudre Rocher - Le Meilleur des Laxatifs, 1890-1895, Musée des beaux-arts de Philadelphie.

   Parler de la constipation peut sembler au mieux anecdotique et au pire incongru. Pourtant, comme toutes les problématiques de santé, la constipation a une histoire.
 

   Selon la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE), 10 à 20% de la population adulte serait aujourd’hui affectée par une constipation chronique, qualifiée de cette manière lorsqu’elle dure plus de six mois. Outre la fréquence des selles, les difficultés d’évacuation sont également un critère d’observation pour déterminer la gravité d’une situation. L’échelle de Bristol, développée à la fin des années 1990, distingue ainsi sept degrés, de la petite « crotte dure et détachée » difficile à évacuer, à la crotte entièrement liquide. L’analyse des troubles digestifs n’est toutefois pas récente puisque dès la seconde moitié du XIXe siècle, des médecins se penchent sur les facteurs sociaux et environnementaux favorisant ces incommodités et sur les moyens d’y remédier.
 

   Un rapide coup d’œil aux publications recensées sur Gallica pour le mot « constipation » révèle à quel point la question du transit devint un sujet d’étude à part entière à partir des années 1840-1850 en lien, notamment, avec l’épidémie de choléra qui frappa la capitale en 1832. Les rapports produits par les autorités à l’époque évoquent alors les « entérites » et autres « gastrites » pour qualifier les inflammations dont certains habitants avaient été les victimes. Dans les années qui suivent se multiplient les œuvres médicales sur le sujet. Citons ici le travail du docteur Carnet intitulé Maux d’estomac – Constipation. Régime, Hygiène, Traitement. Publiée en 1866, la troisième édition de son travail s’inscrit d’emblée dans l’actualité du moment puisqu’il débute son propos de la manière suivante : « De toutes les maladies, de toutes les infirmités auxquelles l’humanité est sujette, les Maux d’Estomac et la Constipation sont bien certainement les plus fréquentes (…) ».

   Outre les difficultés d’expulsion des selles inhérentes à un organisme fatigué et usé par le temps, Carnet met en avant, parmi les causes identifiées de la constipation, les difficultés, ou les réticences, de ses contemporains à choisir les aliments les plus digestibles et à respecter les règles d’hygiène les plus élémentaires. Il explique ainsi qu’une alimentation carnée, mêlée à une consommation excessive de vins, favoriserait la constipation. Les lavements contribuent, quant à eux, à faire perdre au rectum son « excitabilité », notamment chez les femmes de la bonne société. Une lecture sociale de la constipation semble donc possible. Des aliments ingérés aux pratiques connotées comme l’hydrothérapie du côlon, en passant par ce que Carnet nomme la « garde-robe » pour qualifier les WC d’époque, tout semble relier la constipation aux classes les plus aisées de la société du XIXe siècle. Dans les faits, le texte s’inscrit dans un courant plus large de réflexions sur le mode de vie bourgeois et sur l’alimentation carnée, dont les prémices remontent au XVIIIe siècle.

   Ces inquiétudes sur l’amoindrissement physique, dont l’ « amollissement » est un des volets - Carnet parle à ce sujet de « paresse des intestins »  - s’expriment encore au début du XXe siècle dans un certain nombre de travaux. En 1908, le docteur Burlureaux publie ainsi un ouvrage intitulé Un danger social : la purgation. Il y traite de la persistance, dans les pratiques médicales, des lavements. Les pilules et les laxatifs se combinent désormais au clystère, cette petite seringue permettant de procéder à un lavement rectal. Prescrite à tout-va par les médecins, la pratique, nous dit Burlureaux, donne lieu à une « frénésie purgative ». Pour lui, c’est se faire une fausse idée de la constipation que de considérer comme une absolue nécessité le fait d’aller à la selle tous les jours. Il explique alors la pérennité de la pratique de la purgation par la crainte des constipés de déroger à une règle en vigueur depuis des siècles. Comme l’illustre l’affiche pour la “Poudre Rocher”, les produits laxatifs commercialisés à partir des années 1880-1890 ne recommandent plus la consommation directe de plantes, mais l’absorption d’une poudre. Plus récemment, les problèmes de constipation ont donné lieu à un rapprochement inédit entre les industries chimique et pharmaceutique. Le polyéthylène glycol (PEG), utilisé comme épaississant ou gélifiant dans certains produits cosmétiques, est ainsi utilisé comme laxatif en cas de constipation.

   Dans son texte, Burlureaux semble regretter la diffusion très rapide de ces produits auprès de la population, mais aussi la facilité avec laquelle ses confrères contribuent à leur démocratisation. L’automédication devient alors la règle, la purge intervenant en début de cure qu’il s’agisse « de grippe, d’état gastrique, de rougeole (…) ». Dès les années 1920-1930, la presse locale ou régionale se fait d’ailleurs assez largement l’écho de la mode laxative. Dans son édition du 7 avril 1922, L’Ouest-Éclair met par exemple en avant la « poudre laxative de Vichy » pour guérir la constipation.

   Qu’en est-il aujourd’hui ? Le site spécialisé parlons-constipation.fr consacre un développement au lien entre « esprit et digestion ». Les auteurs mettent en avant la pression que certaines personnes subissent au travail, associée à une alimentation déséquilibrée, pour expliquer l’apparition de la constipation. Les témoignages recueillis sur le site précédemment cité offrent quant à eux un point d’observation intéressant sur le rapport qu’entretiennent les individus aujourd’hui avec leur corps. Linda explique : « Parler de ma constipation avec d’autres ? Je ne vois pas le problème (…) ». D’un point de vue strictement médical, et suivant la gravité des symptômes, l’automédication est encore préconisée aujourd’hui. La page de l’assurance maladie relative à la constipation donne ainsi comme conseil, en cas de nouvel épisode, de rencontrer son médecin, d’appliquer les conseils pratiques et de prendre « si besoin des médicaments en automédication (…) ». 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Estomac - Obésité

Joris Guillemot - Université du Mans

Références :

Catherine Rollet, Agnès Fine, « Épidémies et mentalités : le choléra de 1832 en Seine-et-Oise », in Annales. Economies, sociétés, civilisations. 29ᵉ année, n° 4, 1974.

Stéphane Bouillaud, Alban Horry « Remèdes et médicaments au début du XXe siècle L’apport d’un dépotoir de la métropole lyonnaise », in Archéopages : archéologie & société, Inrap, 2016.


Pour citer cet article : Joris Guillemot, « Constipation », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

 

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