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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Clémentine Delait

L'hirsutisme de Clémentine Delait (1865 – 1939) questionne le genre, la perception d'autrui et l'estime de soi-même.Carte postale représentant Clémentine Delait à Plombières-les-Bains (Vosges), CC – BY – 4.0.

L'hirsutisme de Clémentine Delait (1865 – 1939) questionne le genre, la perception d'autrui et l'estime de soi-même.

 

   Clémentine Delait, née Clatteaux, la plus célèbre femme à barbe de France, est victime de l'hirsutisme ou hyper-pilosité féminine dans des zones inhabituelles. Celle-ci touche aujourd'hui presque une femme sur 10 et provient le plus souvent d'un désordre hormonal. Née en 1865 dans une famille rurale modeste, c'est en 1900 à l'âge de 35 ans, qu'elle décide, suite à un pari lancé par l'un des clients de son bar, de se laisser pousser la barbe qu'elle rase d'ailleurs depuis ses 18 ans. Si elle reconnaît en souffrir psychologiquement au départ, comme en témoignent ses rendez-vous chez le barbier, sa perception d'elle-même se modifie avec le temps. Au moment fatidique de laisser pousser son ornement, elle s'arrange pour ne rencontrer que le minimum de gens, en raison d'une profonde appréhension du regard des habitants de Thaon-les-Vosges, le village au sein duquel elle réside. Toutefois, elle reprend confiance en elle à la suite des premiers commentaires positifs. Elle conserve d'ailleurs sa barbe jusqu'à sa mort en 1939. Il lui arrive même parfois de se faire passer pour un homme, ce qu'elle trouve amusant.

 

   La caractéristique inhabituelle de Clémentine Delait la rend intrigante et attirante pour un bon nombre de ses concitoyens de cette société républicaine, ceux-ci ne cachant pas leur plaisir à la voir. Les habitants de Thaon-les-Vosges sont particulièrement fiers de leur représentante, à tel point qu'apparaît, dans une certaine mesure, un chauvinisme villageois. De plus, elle attire les populations des communes alentour, telles que Nancy, Charmes ou encore Épinal, mettant en évidence sa popularité naissante. Pour exemple, le jour de son entrée dans une cage aux lions à la foire d'Épinal en 1933, un regroupement impressionnant de gens l'attendait. Cette notoriété se diffuse aussi sur l'ensemble du territoire, aidée par la propagation d'un nombre assez considérable de cartes postales la mettant en scène dans diverses situations (à côté d'un aéroplane par exemple). Toutefois, il est important de signaler qu'elle garde un certain contrôle sur la diffusion de son image. En effet, afin d'être officialisées, ces cartes devaient être cachetées par « la femme à barbe » elle-même. Sa renommée est à son paroxysme lorsque, au cours du premier conflit mondial, elle visite les tranchées au nom de la Croix Rouge et devient ainsi l'idole des poilus. Sa célébrité dépasse même les frontières, comme en témoigne l'admiration, d'une part des soldats allemands qu'elle a pu rencontrer en Alsace lorsque la région était germanique et d'autre part des nombreux chefs d’États tels que le roi d'Espagne ou le Shah de Perse, avec qui elle a eu l'honneur d'être mise en présence souvent sur leur initiative propre.

 

   Clémentine Delait peut être considérée comme une femme ayant gardé le contrôle d'elle-même, et cela malgré les nombreuses propositions dont elle a pu faire l'objet. Effectivement, elle refuse d'abord de nombreuses offres, notamment celle du Cirque Barnum & Bailey, fondé par P.T. Barnum (1810 – 1891) et rapidement devenu incontournable dans le domaine de l'exposition de l'anormalité. Elle y assiste lors de son passage à Paris en 1902, mais elle considère le fait de s'occuper de son époux malade comme une priorité. C'est seulement à la suite du décès de ce dernier, en 1928, qu'elle envisage d'entamer une tournée dont Londres est la première étape en 1932, quelques années seulement avant sa disparition en 1939.

 

   À une époque où certaines femmes à barbe sont exposées, comme Joséphine Clofullia ou Annie Jones parmi les « freaks » américains, Clémentine Delait n'hésite pas à utiliser sa particularité afin d'obtenir certains privilèges réservés à la gent masculine. Ainsi, elle accepte la proposition du maire de son village, A. Lederlin, qui souhaite demander une dérogation afin qu'elle soit autorisée à porter le pantalon, usage interdit pour les femmes depuis l'acte du 16 Brumaire de l'an IX (7 novembre 1800). Cette proposition est rapidement acceptée par le ministre de l'Intérieur Émile Combes, comme le faisait savoir le préfet des Vosges au maire de Thaon, le 7 mars 1904. Si cette dérogation est vraisemblablement accordée pour raison médicale, elle libère Clémentine Delait de l'interdiction pour les femmes de porter un costume masculin au quotidien. A cela s'ajoute la diffusion de son image chevauchant un vélocipède, pratique vue comme subversive, ce qui ne l'empêche pas de faire la Une du supplément illustré du très célèbre Petit Journal en la fin de l'année 1904.

 

   Clémentine Delait ne se considère pas comme hermaphrodite, mais bien comme une femme avec un atout supplémentaire. Ce dernier ne l'empêche d'ailleurs pas d'adopter la petite Fernande, en 1919, orpheline en raison de la Grippe espagnole.

Mme Delait ne représente en aucun cas une menace pour l'ordre social, et c'est sans doute cela qui lui a permis d'être acceptée par la société et même d'obtenir certains privilèges.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Corset - Caster Semenya

Clément Cosandier - Le Mans Université

Références :

François Caradec, Jean Nohain, La vie exemplaire de la femme à barbe – Clémentine Delait – 1865 – 1939, L'échappée, 2017 (1e éd. en 1969).

Clémentine Delait, Les mémoires de la femme à barbe, Épinal, Société Anonyme de l'Imprimerie Fricotel, 1934.

Pour citer cet article : Clément Cosandier, "Clémentine Delait", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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