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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Débredinoire

La débredinoire de Saint-Menoux, un reliquaire contenant les restes d’un saint guérisseur de la folie, est présenté comme un instrument de soin permettant de retrouver la santé mentale. Dessin de la « débredinoire » de Saint-Menoux, La Chronique médicale, revue mensuelle de médecine historique, littéraire & anecdotique, n°31, 1er août 1924, p.229.

   La débredinoire de Saint-Menoux, un reliquaire contenant les restes d’un saint guérisseur de la folie, est présenté comme un instrument de soin permettant de retrouver la santé mentale. 

 

   La débredinoire de Saint-Menoux est un sarcophage de forme trapézoïdale de grès taillé composé de deux cavités : l’une, fermée, continent les ossements du saint, tandis que la seconde, ouverte, permet d’y glisser la tête. Dans le narthex de l’église, on peut trouver ce qui est très certainement le sarcophage initial de saint Menoux, datant du VIIe siècle, avec à ses côtés celui de son serviteur. Celui actuellement situé derrière l’autel est une création du XIIe siècle, plus pratique pour les nombreuses visites. Selon le parler bourbonnais, le mot débredinoire vient de « bredin » (ou « beurdin ») qui qualifie un simple d’esprit. Ainsi, la débredinoire aurait comme propriété de chasser la « bredinerie » (ou « berdinerie ») et de guérir les maladies mentales et les troubles cérébraux. Ce nom est donné à partir du XIXe siècle, lorsqu’un plaisantin de passage visite le tombeau et par dérision lui donne le surnom de « débredinoire ». Le terme paraissant plus ou moins spirituel et expressif est gardé.

 

   Les propriétés curatives de ce sarcophage proviennent d’une histoire locale. Au VIIe siècle, un évêque irlandais nommé Ménulphe (ou Menoux) passe par le village de Mailly-sur-Rose (actuellement Saint-Menoux) après un voyage à Rome pour s’y reposer. Son prestige le précède : on lui accorde déjà des prodiges et des vertus dignes d’un saint, suffisants pour que le pape de l’époque en entende parler et lui propose de rester à sa cour. À Mailly-sur-Rose, il prend sous son aile un certain Blaise, un simple d’esprit, un « bredin ». À la mort de Menoux, son serviteur, ne comprenant pas tout de suite le décès de son protecteur, creuse un trou dans le cercueil pour pouvoir y passer la tête et ainsi mieux « communiquer » avec lui. Devant tant de ferveur, le curé du village fait réaliser un sarcophage avec une cavité pour qu’il puisse continuer ses visites. Lorsqu’il se décide enfin à laisser son maître reposer en paix, Blaise est devenu intelligent, « débrediné » grâce à celui qu’on nomme désormais saint Menoux. La légende met tout de même en garde les pèlerins qui passent au débredinoire : attention à ne pas toucher les bords de pierre lorsque vous glissez la tête, vous risqueriez de récupérer toute la « bredinerie » des précédents !

 

   Le cas de la débredinoire de Saint-Menoux permet de voir que le corps est inscrit dans un réseau de croyances. Depuis le Moyen Âge, ce culte est fondé sur les propriétés et les vertus qui seraient conservées dans les restes corporels ou les objets ayant appartenu à une personne que l’on caractérise comme sainte. En le priant, en allant auprès de son tombeau ou en touchant directement les reliques, on espère que des miracles de diverses sortes puissent se produire, notamment des guérisons. La maladie est vue comme un élément de perfectionnement du bon chrétien, grâce aux pratiques du dolorisme. Les reliquaires, comme celui de Saint-Menoux, constituent des sanctuaires de guérison. Cependant les pratiques de la foi se font de moins en moins présentes dans le Bourbonnais, ce qui fait diminuer progressivement le culte de ce saint, bien que quelques-uns accomplissent encore ce pèlerinage.

 

   Au XIXe siècle, on assiste à une médicalisation de la psychiatrie et à la naissance d’une nouvelle catégorie médicale : la folie. Grâce à l’avancée dans le domaine de la psychiatrie et notamment grâce aux travaux de Philippe Pinel pour la prise en charge par les médecins des fous, les « aliénistes » prennent de plus en plus le pas sur le religieux, relégué « au rang des héritages […] de la psychiatrie moderne ». Néanmoins, le XIXe siècle connaît une certaine apogée de la présence de la religion chrétienne. On note d’ailleurs l’existence d’une littérature autour de la relation entre les cultes des saints et la médecine (Pierre Saintyves, Henry Meige). Les années 1830-1870 sont marquées par une mixité institutionnelle, à la fois médicale et congréganiste. Science et religion ne sont pour autant pas incompatibles. L’asile s’est, en quelque sorte, greffé sur l’héritage des pratiques religieuses de guérison.

 

   L’une des tâches de l’aliéniste est notamment de persuader le malade de « renoncer » à sa folie. On peut considérer que les sanctuaires de guérison et les prières accordées aux saints et aux reliques agissent de la même manière. Dans une société profondément chrétienne, où la morale religieuse est ancrée dans les mœurs (le pardon divin, la peur de l’enfer, le salut des âmes), la médecine et les croyances se mêlent. L’internement asilaire intervient dans certains cas, vers la fin du XIXe siècle, comme le dernier recours pour soigner la « démonomanie » ou tout autre trouble, après avoir tenté un traitement par des actes religieux – jeûnes, prières, confessions. Les saints guérisseurs interviennent parfois dans le cas inverse, lorsque le traitement médical n’a pas suffit et que la culture populaire reprend le dessus.



Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Spiritisme - Charlatan - Guérisseurs

 



Laëtitia Després - Le Mans Université

Références :

Hervé Guillemain, « La religion de l’asile (1830-1870) », Romantisme : Asiles et fous, n°141, 2008, p.11-21.

Edina Bozoky, « Chapitre XXVII. Saints, reliques et pèlerinages. »,  Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449), Presses universitaires de Rennes, 2010.

 

Pour citer cet article : Laëtitia Després, “Débredinoire”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.




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