Le médecin de campagne, coll. BIUM.
Pendant tout le XIXe siècle, la question de l’accès des plus pauvres aux secours médicaux se rattache au débat plus général qui oppose, depuis la Révolution, les partisans d’une assistance obligatoire pour l’Etat (Constituante), voire d’un droit à l’assistance (Convention) et même d’un droit au travail (socialistes de 1848) et ceux qui comptent sur l’initiative individuelle (charité, philanthropie, bienfaisance) pour diminuer ou soulager la misère. On peut y rattacher ceux qui, comme Thiers (1797-1877), acceptent en 1850 l’assistance publique définie dans l’article 8 de la Constitution de 1848 à condition qu’elle « conserve son caractère de vertu, c’est-à-dire qu’elle reste volontaire, spontanée, libre de faire ou de ne pas faire ». Après avoir largement dominé, cette dernière interprétation cède le pas à la première à la toute fin du siècle avec la première loi d’obligation qui porte sur l’assistance médicale gratuite de 1893.
Ce vote est loin d’être dû au hasard. La question du soin des pauvres des campagnes (les urbains étaient soignés dans les hôpitaux) était jugée d’un tel intérêt que tous les gouvernements prirent des initiatives pour y répondre, quitte à contredire leurs principes. Soucieuse d’accroître le nombre de ses sujets et le montant des impôts, la monarchie absolue avait envoyé à partir de 1710 des boîtes de remèdes d’Helvétius qui, depuis les années 1750, furent mises à la disposition des médecins des épidémies pour soigner les pauvres des campagnes touchées par lesdites maladies. Dans le cadre de vastes plans d’assistance, la Constituante et la Convention créèrent des médecins de canton ou d’arrondissement qui devaient être rétribués par les caisses publiques et rêvèrent d’un réseau hospitalier rationnel adapté aux besoins et financé par le Grand livre de la dette publique.
Hélas, les malheurs des temps empêchèrent de donner corps à ces projets et désorganisèrent les hôpitaux. Pour les soins à domicile, on créa en 1803 un corps de médecins de second ordre, les officiers de santé, dont on espérait qu’ils complèteraient les services de docteurs. Ils n’y réussirent que partiellement, à tel point que le gouvernement de Martignac (1828-1829) et de Guizot (1840-1848) envisagea pour l’un et fit voter pour l’autre la création de médecins cantonaux rétribués par les communes. En matière de santé, le rapport fait par Thiers en janvier 1850 recommandait la prévoyance mutuelle. Le Second Empire puisa dans l’expérience des deux régimes précédents. Le décret du 22 mars 1852 favorisa la création de sociétés de secours mutuels approuvées, protégées mais surveillées par le pouvoir. Les circulaires d’août 1854 et 1855, autorisaient les conseils généraux volontaires à organiser des services ruraux de médecine gratuite, mais l’expérience fut limitée et périclita très vite. La bienfaisance publique fondée sur la faculté touchait à ses limites.
Avec la Troisième République, l’apparition de trois défis nouveaux modifia la donne. Avec l’accentuation du contrôle des naissances en France, apparaît la hantise de la « dépopulation » jugée d’autant plus dangereuse que tous les gouvernements vivent dans la perspective toujours possible d’un nouveau conflit avec le voisin allemand en pleine expansion démographique. Si elle n’est qu’un allègement, la baisse de la population rurale est décrite comme un exode qui menacerait les vertus nationales fondées sur l’attachement à la terre et une menace sur le système politique, la République modérée s’appuyant de plus en plus en plus sur les campagnes au fur et à mesure que les classes populaires urbaines seraient tentées par le socialisme. Pour empêcher les progrès de celui-ci, il apparaît très vite aux républicains de gouvernement que s’imposent les réformes nécessaires grâce auxquelles les ouvriers supporteraient mieux leur condition. L’assistance médicale qui répond à tous les défis est donc assez naturellement la première à être mise en chantier.
Il faut pourtant plus de vingt ans pour que l’édifice soit achevé. Il faut en effet conjurer la menace du déficit budgétaire et mettre au point une loi qui convainque aussi bien à gauche qu’à droite. L’élaboration finale est largement l’œuvre d’Henri Monod (1843-1911), chirurgien, conseiller d’Etat, responsable au sein du ministère de l’Intérieur de la toute nouvelle (novembre 1886) direction de l’assistance publique à laquelle est rattachée l’hygiène publique en 1889. Publiée le 15 juillet 1893, la loi est un chef d’œuvre d’habileté. Sans parler de droit des assistés ni de devoir pour les collectivités, elle affirme néanmoins que tout Français privé de ressources recevra à son domicile ou à l’hôpital les soins nécessaires. Elle ménage les deniers de l’Etat en laissant les autorités locales en première ligne et respecte l’assistance privée et les formes traditionnelles de la bienfaisance publique (hôpitaux, bureaux de bienfaisance). Cette souplesse explique sa longévité.
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Références :
Colette Bec, Assistance et République, Paris, Editions de l’atelier, 1994.
Olivier Faure, “La médecine gratuite en France au XIXe siècle : de la Charité à l’assistance”, Histoire, économie société, 1984, n°3-4, p. 593-608.
Pour citer cet article : Olivier Faure, "Droit aux soins" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.