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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Exorcisme

Tableau de Laurent Baud, Les possédées de Morzine (1864).

   Avant de redevenir d’actualité à partir du pontificat de Jean Paul II, l’exorcisme traditionnel a été revisité par les savoirs psys aux XIXe et XXe siècles. 

 

   Si l'histoire de la pratique de l’exorcisme semble impossible à écrire tant elle est chargée de représentations fictionnelles puissantes et de secrets, elle peut se révéler lorsqu'on l'envisage dans ses relations aux sciences psychiques.

 

   Dans la première moitié du XIXe siècle, les exorcistes sont des itinérants charismatiques qui agissent souvent hors du cadre de l'Église et font figure de missionnaires. Le frère Tissot se fait appeler Hilarion, du nom d'un saint exorciste, et crée plusieurs asiles d'aliénés sous la Restauration. Dans la tradition évangélique, il se donne pour mission de délivrer du démon chacun de ceux qu’il rencontre au cours de ses pérégrinations. L’Église regarde d’un œil méfiant ces hommes qui, contrairement à ce qu'impose le Rituel romain, ne sont pas contrôlables. Déjà à cette époque la plupart des évêques ne légitiment le recours à l'exorcisme que rarement. Lorsqu'intervient la possession collective de Morzine par exemple, dans la Savoie des années 1860, l’Église interdit tout exorcisme solennel mais on sait que des exorcismes secrets sont réalisés dans l’église du village. L'armée, les psychiatres et l’Église calment les corps en transe des savoyardes.

 

    Les archives diocésaines montrent l’existence d’exorcistes officiels. Dans les années 1870-1920, se succèdent à l’intérieur de la Compagnie de Jésus des prêtres en charge du poste d’exorciste officiel du diocèse de Paris. Le premier Maximilien de Haza Radlitz (1831-1909) est très critique des sciences profanes et manifeste une méfiance forte envers les médecins. Il exorcise environ une fois par an durant les trente années de sa charge. Alors que les exorcismes privés visent à établir la réalité de la possession, les exorcismes solennels très spectaculaires servent à délivrer du mal. C’est d’abord un cérémonial religieux immuable, confession, communion, agenouillement, récitation de la litanie des saints, qui provoque chaque fois une réaction violente du sujet : convulsions, perte de connaissance, hurlements. Puis un duel s’engage sous la forme d’un dialogue, d’un questionnement, qui a pour but d’épuiser le démon, avec l’aide d’objets sacrés - reliques, eau bénite, croix, médailles. L’exorcisme s’achève par une vérification sous la forme de l'acceptation par le sujet d'une prière à Marie. 

 

   Les débuts du père jésuite sont contemporains des plus grands faits d'armes de la psychiatrie anticléricale : la parution des volumes de la Bibliothèque démoniaque et la reconnaissance de Charcot comme spécialiste de l'hystérie entre 1877 et 1880. Si le père de Haza semble peu averti des sciences psychiques de son époque, il connaît les enjeux de la confrontation et réagit contre l'intégration de ce nouveau savoir dans sa conception de la possession. Il se place en concurrent des médecins et pratique sur des sujets suggestibles avec des moyens proches de ceux des psychiatres.

 

   Son successeur le père Joseph de Tonquédec (1868-1962) devient l'exorciste officiel du diocèse de Paris en 1924, et poursuit cet office jusqu’à sa mort en 1962. Sa longévité et son implication dans la psychiatrie rendent son parcours significatif de l'évolution de l'exorcisme au XXe siècle. Il a une solide formation psychiatrique, contrairement à ses prédécesseurs. Un de ses maîtres à penser est Babinski, théoricien de l'hystérie provoquée par suggestion. Tonquédec pense que l'exorciste peut déclencher le mal chez le possédé, comme Babinski le remarque avec ses patients. Sa connaissance des traités psychiatriques l'éclaire sur des domaines encore cachés : le dédoublement de la personnalité notamment. Les œuvres de Janet et de Freud ont été assimilées dans l'idée que l'hystérie est le fruit d'un traumatisme passé qui peut être guéri par sa réminiscence. 

 

   Ces lectures vont transformer de façon importante la pratique de l'exorcisme, car le père de Tonquédec devient le maître à penser de nombreux exorcistes de France. Avec lui nombre de possessions tombent dans le domaine psychiatrique. Alors que la demande reste très forte, le nombre des possédés reconnus comme tels diminue fortement : pour Joseph de Tonquédec, « sur mille personnes qui se présentent, il y en a au moins 999 qui ne le sont pas ». Comment exorciser si l'occasion rare se présente ? Outre la prudence rituelle, il faut éviter tout geste et toute expression qui fait sens, être impassible et muet. L'exorciste interventionniste et combattant disparaît pour laisser place à un médecin de l'âme plus proche formellement du confesseur ou du psychanalyste. La préface de l'ouvrage Les Maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, publié en 1938, est significative de la volonté de l'Église de le diffuser au maximum. Signée du cardinal Verdier, elle souscrit désormais officiellement à une forte restriction de l’exorcisme. Les exorcistes de province exerçant dans les années cinquante s'inspirent des travaux de Tonquédec, comme le montre le témoignage de l'abbé Froc, exorciste officiel du diocèse de Rennes, aumônier à l’hôpital psychiatrique.

 

   L'émergence d'une science psychique catholique n'aboutit cependant pas à l'extinction de l'exorcisme. L’Église est toujours confrontée à la persistance d'une demande qui a conduit récemment l'Église à revaloriser les charges d'exorciste dans les diocèses, notamment depuis le pontificat de Jean Paul II. Les consultations augmentent fortement et les prêtres exorcistes se multiplient : cinq en 1950, seize en 1977, soixante et onze en 1996. Les exorcistes ont désormais leurs propres sites internet.


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Débredinoire

Hervé Guillemain - Le Mans Université – Temos CNRS 9016

Références : 

Hervé Guillemain, « Déments ou démons? L'exorcisme face aux sciences psychiques (XIXe-XXe siècles) », in RHEF, 2001(disponibleen ligne). 

Hervé Guillemain, « Les diables déposent au procès, l’affaire Flamérion », in C. Langlois (dir.), Thérèse au tribunal en 1910, Cerf, 2015.

Pour citer cet article : Hervé Guillemain, « Exorcisme », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024. 

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