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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Etudiantes en médecine

À la fin du XIXe siècle, une bataille se joue entre la puissance de la faculté et le pouvoir ministériel concernant la possibilité, pour les femmes, de poursuivre des études médicales. Jeune femme non identifiée en toge de docteur, C.A., gravure, Collection BIU Santé Médecine.

À la fin du XIXe siècle, une bataille se joue entre la puissance de la faculté et le pouvoir ministériel concernant la possibilité, pour les femmes, de poursuivre des études médicales.

 

   En mars 1866, Madeleine Brès, veuve de 24 ans avec trois enfants, demande à Adolphe Wurtz, doyen de la faculté de médecine de Paris, l’autorisation de prendre ses inscriptions pour la rentrée, c’est-à-dire de passer les diplômes puis d’accéder à la profession de médecin. À cette date, les femmes ne sont pas admises dans les facultés à cause de leur manque d’instruction et du poids des traditions, car aucun acte légal ne leur en ferme l’accès. La première femme à obtenir le baccalauréat est Julie Victoire Daubié en 1861. Pendant que Madeleine Brès prépare cet examen accessible aux femmes depuis peu de temps et obligatoire pour prendre ses inscriptions dans une faculté, Adolphe Wurtz plaide sa cause et demande au Docteur Alexis Dureau, missionné par le Ministère pour étudier l’organisation des études médicales à l’étranger, de lui constituer un dossier sur l’admissibilité des femmes dans les pays voisins. Ce dernier vérifie le droit français et fait un rapport sur la situation de Zurich, université qui accueille sa première étudiante en 1864, une jeune russe, Nadedja Souslova, qui se voit décerner son doctorat de médecine trois ans plus tard, preuve de son intégration et des capacités féminines à suivre un enseignement supérieur. Le Docteur Dureau en déduit que rien n’empêche l’admission des femmes aux études universitaires. 

 

   Malgré cette conclusion, Adolphe Wurtz conseille à Madeleine Brès de s’adresser au ministre de l’Instruction publique. Celui-ci présente sa requête en conseil des ministres dans une séance présidée par l’Impératrice, qui exprime le souhait que les femmes soient désormais nombreuses dans les facultés. Car elles revendiquent la pratique de la médecine, arguant que les patientes reculent le moment de faire venir le médecin par pudeur, rendant parfois toute guérison impossible. Devant une femme-médecin, la malade n’aurait pas une telle gêne.

 

   Ce premier succès politique est important mais les résistances face à une hypothétique féminisation des filières médicales au sein du monde universitaire restent extrêmement fortes, comme Mary Putnam l’apprend à ses dépens. C’est en 1866 que cette dernière, docteure en pharmacie de l’université de Pennsylvanie, arrive à Paris auprès du docteur Hérard afin d’approfondir ses connaissances médicales. Ce dernier l’introduit dans des dîners mondains et fait jouer ses relations afin qu’elle soit admise en tant qu’auditrice libre dans quelques cours. La même année, le doyen Wurtz lui donne l’autorisation d’utiliser la bibliothèque. À la rentrée de 1867, elle fréquente de nouveaux cours et les étudiants, qui la connaissent déjà, n’émettent aucune protestation. Elle demande alors à s’inscrire officiellement et essuie un refus du conseil des professeurs. Plusieurs raisons sont avancées : le problème de la mixité - ces dames ne peuvent que troubler les étudiants - , l’inadaptation du niveau des cours à un esprit féminin jugé inapte, la nécessité de recourir aux dissections pouvant choquer la pudeur et la sensibilité féminines. Seul le doyen prend la défense de la jeune américaine, s’appuyant sur les conclusions du Docteur Dureau et sur le fait que le conseil des ministres a déjà accepté l’inscription de Mme Brès. 

 

   Sur les recommandations d’Adolphe Wurtz, en mars 1868, Mary Putnam reformule le souhait de prendre ses inscriptions, mais auprès du conseil des ministres qui lui en donne l’autorisation. De cette manière, elle peut passer outre l’avis du conseil des professeurs. En effet, depuis la refondation de l’Université par Napoléon, le système est très centralisé et sous le contrôle de l’État et de ses relais administratifs. Les décisions du ministère prévalent alors sur celles prises au sein des conseils des facultés. 

 

   Le succès de Mary Putnam est diffusé dans la presse et entraîne avec elle, à la faculté de médecine parisienne, l’anglaise Elisabeth Garrett, qui devient dès 1870 la première femme docteure en médecine de France. Ses travaux sont validés directement par le conseil des ministres, plutôt que par celui de la faculté, afin que son grade puisse lui être délivré. Mary Putnam, elle, soutient sa thèse l’année suivante. Grâce à ses recherches, elle obtient une médaille de bronze décernée par la faculté de Paris, prouvant par-là que les thèses féminines peuvent se révéler aussi bonnes que celles de leurs camarades masculins. La première française à obtenir ce grade reste Madeleine Brès, en 1875.

 

   Après ces parcours novateurs, le droit de s’inscrire en faculté de médecine pour les femmes en France n’est plus remis en cause. En 1900, elles sont un peu plus de cinq cents à suivre un cursus universitaire médical dans le pays, ce qui représente environ 6 % des effectifs. Le nombre d’inscrites augmente ensuite doucement mais régulièrement. Juste avant le second conflit mondial, les femmes représentent le quart des effectifs en médecine.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Dr Quinn - Officiers de santé - Docteur Cerral

Amélie Puche, docteure en histoire contemporaine, chercheuse associée à l'Institut des humanités médicales (IHM) de Lausanne

Références

Mélanie Lipinska, Histoire des femmes médecins depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, thèse de doctorat en médecine, Librairie G. Jacques & cie, 1900.

Natalie Pigeard-Micault, Wurtz un savant dans la tourmente : entre bouleversements politiques et revendications féministes, Hermann, 2011.

 

Pour citer cet article : Amélie Puche, "Etudiantes en médecine“, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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