Le mode de financement des soins aux aliénés est au cœur des discussions qui entourent le vote de la loi de 1838 présidant à la fondation de la médecine aliéniste (Landron 1995). Le premier projet de loi déposé devant la Chambre des députés en 1832 propose que les dépenses liées à la prise en charge des aliénés indigents soient inscrites au titre des dépenses municipales obligatoires. Devant le très grand nombre d’aliénés en établissement, en prison ou sans solution d’hébergement (près de 90 000 personnes), le gouvernement ordonne en 1835 aux préfets et aux conseils généraux d’évaluer le montant des dépenses liées à ces prises en charge, plaçant ainsi la psychiatrie à une échelle résolument départementale. Ce principe est ensuite inscrit dans la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés : les dépenses sont réglées par l’aliéné lui-même, et par le département en cas d’incapacité – la commune de dernière résidence de l’aliéné pouvant concourir au règlement des frais.
À la fin du XIXe siècle, les établissements hospitaliers voient diminuer leurs recettes complémentaires liées aux dons, aux legs et à la rente. Parallèlement, les besoins de soins augmentent dans la population. Ainsi, la loi du 13 juillet 1911 établit la prise en charge des aliénés indigents sans domicile par l’État et la circulaire du 4 août 1930 rappelle ensuite « une disposition qui a été perdue de vue » de la loi de 1838 imposant aux départements de prendre en charge les frais d’entretien « des aliénés indigents en l’absence de réactions dangereuses ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, les hôpitaux psychiatriques souffrent d’une véritable carence administrative, financière et parfois médicale, donnant lieu à l’abandon des malades vulnérables à leur propre sort. Quarante mille d’entre eux décèderont des suites de malnutrition et d’absence de traitement dans les hôpitaux.
La fin de la guerre marque un moment de renouveau crucial pour l’hôpital psychiatrique qui entreprend de faire peau neuve. Poursuivant les efforts promus par la circulaire du ministre radical-socialiste Marc Rucart de 1937 au temps du Front Populaire, les pouvoirs publics et les psychiatres entreprennent le développement de structures extrahospitalières accéléré notamment par la circulaire du 15 mars 1960 (puis de la loi du 25 juillet 1985 relative à la sectorisation en psychiatrie). Leur caractère ambulatoire interroge quant à leur mode de financement : la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) finance ces structures jusqu’en 1985 puis en confie le financement aux hôpitaux.
Du côté hospitalier, le « prix de journée », mis en place en 1941 se poursuit comme mode de financement quasi-exclusif des hôpitaux et participe largement à l’augmentation de l’offre hospitalière sur le territoire. Mais au tournant des années 1980, ce système se révèle inflationniste, les hôpitaux ayant tout intérêt à atteindre une capacité d’accueil maximale et d’augmenter les durées d’hospitalisation des patients pour bénéficier de recettes plus importantes. Le communiste Jack Ralite, ministre en charge de la Santé, très assisté par Jean de Kervasdoué à la Direction des Hôpitaux, engagent le tournant de la rigueur en 1982, sous la mandature de François Mitterrand, en entreprenant de ralentir la hausse de la part hospitalière dans le budget de la Sécurité sociale. Le prix de journée est remplacé par la loi du 19 janvier 1983 au profit d’un financement dit par « dotation globale ». Cette Dotation annuelle de financement (DAF) est calculée sur la base des budgets alloués précédemment aux établissements par le prix de journée, tendant ainsi à cristalliser et même accroître les inégalités de traitement entre établissements. Invitant les établissements à réduire les coûts de prise en charge par la diminution des durées de séjour, ce système de financement accompagne efficacement la politique de fermeture des lits, en psychiatrie comme en médecine, promue par le Commissariat au Plan.
Par la suite, la tarification à l’activité (T2A) mise en œuvre au début des années 2000 (voir Juven, 2016), associant un « tarif » (réglé par l’Assurance maladie à un établissement hospitalier) à une pathologie (codé par les médecins pour le soin d’un patient), est précocement jugée inapte à financer l’activité psychiatrique puisque les diagnostics ne font pas l’objet de consensus aussi stabilisés qu’en médecine somatique. Au même moment, les organisations professionnelles mettent au point et promeuvent un modèle alternatif appelé Valorisation de l’activité psychiatrique (VAP) sur le principe de quatre compartiments de financement laissant peu de place au financement à l’activité (géopopulationnel, missions d’intérêt général, médicaments onéreux et activité) qui ne parvient pas à s’imposer.
C’est enfin par le décret du 29 septembre 2021 que la réforme du financement des activités de psychiatrie entre enfin en vigueur – après avoir été retardée d’une année en raison de la crise sanitaire de la Covid-19. Depuis le 1er janvier 2022, les activités de psychiatrie sont financées selon trois compartiments de financement : un premier indexé sur la population rattachée au territoire d’un établissement de santé ; un deuxième prenant en charge les activités spécifiques de soins et hors soins (prévention, enseignement, recherche, unités transterritoriales) ; enfin le dernier renvoyant au financement à la qualité via la mise en œuvre des indicateurs qualité en psychiatrie.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Asile - Droit aux soins
Références :
Pierre-André Juven, Une santé qui compte? Les coûts et les tarifs controversés de l’hôpital public, Presses Universitaires de France, 2016.
Gilles Landron, « Du fou social au fou médical. Genèse parlementaire de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés », Déviance et Société 19 (1): 3‑21, 1995.
Pour citer cet article : Tonya Tartour, "Financement de l'hôpital psychiatrique", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.