A partir de 1952, parce que les psychiatres jugent le terme trop polémique, l’hystérie est retirée de la liste des maladies mentales. En 1968, sous l’impulsion de la deuxième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-II) de l’Association américaine de psychiatrie, la terminologie est modifiée au profit de celle d’histrionisme, que les psychiatres jugent moins stigmatisante car plus neutre en termes de genre. Les classifications européennes comme la dixième édition de la Classification internationale des maladies (CIM-10), utilisée en France pour coder administrativement les actes des hôpitaux psychiatriques publics, intègrent aussi cette modification.
Néanmoins, les supposées transformations de l’hystérie en troubles histrioniques sont la condition même du maintien d’une catégorie genrée en psychiatrie, que le changement de terminologie dépolitise. La littérature psychiatrique contemporaine décrit ainsi les deux troubles avec une symptomatologie identique. En 2022, on peut lire dans le dictionnaire médical de l’académie de médecine que le principal symptôme qui caractérise l’histrionisme hystérique est « le théâtralisme, une tendance aux expressions émotionnelles spectaculaires ». Etymologiquement, histrionique est d’ailleurs dérivé du latin histrio, signifiant acteur/actrice, dénotant la même théâtralité dramatique attribuée à l’hystérie, mais sans le bagage de l’ancien terme. On a ici une parfaite congruence entre des stéréotypes de genre qui perdurent (les études montrent que les professionnels de santé perçoivent tendanciellement les femmes comme exagérant leurs symptômes et ont tendance à les prendre moins aux sérieux) et un critère clinique qui caractérise une catégorie psychiatrique (les soignants perçoivent ce type de patientes comme exagérant ses symptômes).
Officiellement, l’hystérie a, elle, disparu de longue date du paysage psychiatrique. Mais si une partie de la profession a adopté ce changement de terminologie, ce n’est pas le cas de certains professionnels de la psychiatrie contemporaine, qui continuent d’utiliser la catégorie. En l’occurrence, certains psychiatres exerçant dans le secteur public, héritiers du courant psychanalytiques, continuent d’utiliser ce terme pour qualifier des patientes. Du point de vue des logiques professionnelles, la perdurance de l’hystérie s’explique par un non-consensus théorique au sein du champ psychiatrique. En pratique, cette absence de science stabilisée permet l’existence et l’usage d’une pluralité de catégories – y compris celles qui sont officiellement mortes.
Alors, qui sont les hystériques aujourd’hui ? A l’ère contemporaine, la recherche montre que les patientes catégorisées hystériques se caractérisent massivement par leur genre féminin, et par le fait d’être par ailleurs catégorisées bipolaires. Mais les hystériques se distinguent des autres patientes étiquetées bipolaires par leurs caractéristiques sociales, comme leur origine géographique ou celle de leurs parents. Typiquement, une partie de ces patientes est originaire de pays du sud de l’Europe comme l’Espagne. Leur catégorisation peut être imputée au syndrome méditerranéen, un stéréotype culturel et racial hérité de la médecine coloniale, consistant pour les soignants à considérer que les personnes originaires de pays situés autour de la Méditerranée exagèrent leurs douleurs, entraînant une défaillance de la prise en charge médicale de ces populations. Or, ce syndrome possède des traits caractéristiques communs avec la description clinique de l’hystérie, comme la théâtralité.
Pourtant, l’hypothèse que l’hystérie caractérise des femmes qui mettraient en scène voire simuleraient tout ou partie de leur maladie se heurte à un paradoxe. Pourquoi, dans ce cas, continuer de les hospitaliser ? Comment expliquer qu’à hôpital, les psychiatres prescrivent à ces patientes les mêmes traitements médicamenteux massifs qu’aux autres patientes catégorisées bipolaires ?
Un premier élément de réponse réside dans le fait que les femmes catégorisées hystériques sont issues des classes moyennes ou supérieures, un recrutement social rare dans les hôpitaux publics des territoires paupérisées. Plus précisément, ces femmes se caractérisent par le fait qu’elles ont une opinion sur la façon dont elles voudraient être traitées, et qu’elles la revendiquent. Une partie d’entre elles exprime des émotions historiquement construites comme viriles telles que la colère, parfois sur le mode politique de revendications féministes. Mais surtout, elles critiquent les traitements médicamenteux comme étant la seule prise en charge thérapeutique qui leur soit proposée. Contrairement à d’autres patientes qui refusent ou arrêtent leur traitement, elles se montrent toutefois observantes et respectent la prescription médicale, ce qui ne légitime pas le recours à la contrainte (contention, enfermement). Précisément, ces patientes qui ont des dispositions à vouloir faire une psychothérapie plutôt qu’à prendre des médicaments sont jugées « pénibles » par les soignants, parce que leur discours d’opposition révèle les limites des structures psychiatriques publiques contemporaines, qui peinent à assurer d’autres offres thérapeutiques que les traitements médicamenteux et l’enfermement.
Le cas de l’hystérie montre ainsi comment l’autorité psychiatrique contemporaine se maintient malgré l’incertitude diagnostique et pharmacologique qui caractérise l’activité de soin, ce qui témoigne de la force du pouvoir médical. Dans un contexte de science peu stabilisée, les classements des troubles et les traitements à leur apporter ne font pas consensus. L’autorité psychiatrique repose alors, en dernier recours, sur du sens commun – en l’occurrence, sur des catégories de genre. En décrédibilisant ses destinataires, la catégorisation genrée d’hystérique assoit l’autorité médicale, là où le diagnostic et les médicaments ont échoué à le faire. Réciproquement, l’usage médical de l’hystérie continue d’accorder une légitimité scientifique à un terme pourtant décrié depuis longtemps pour son caractère genré.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Délire féminin- Déséquilibre mental
Références :
Blagov P., Fowler K. A., « Histrionic Personality Disorder », dans Lilienfeld S. O., 2007 O’Donohue W., Fowler K. A., Lilienfeld S. O. (eds), Personality Disorders. Towards the DSM-V, Thousand Oaks: Sage, p. 203-232.
Loriol Marc, Valérie Boussard et Sandrine Caroly, 2010. « Discrimination ethnique et rapport au public. Une comparaison interprofessionnelle » (traduction d’un article publié en allemand), Doing Social Problems. Mikroanalysen der Konstruktion.
Pour citer cet article : Julia Legrand, "Hystérie féminine", dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.