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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Lycanthropie

La Lycanthropie est une des anciennes catégories de transformation animale, la transformation en loup.Lucas Cranach l'Ancien, Werewolf, gravure sur bois, v. 1512.

   La Lycanthropie est une des anciennes catégories de transformation animale, la transformation en loup.

 

   Elle figure l’incarnation dans l’homme civilisé d’une sauvagerie multiforme dont l’anthropophagie et plus souterrainement le viol sont les manifestations les plus évidentes. Elle s’inscrit dans une double tradition savante. C’est d’abord une tradition médicale, ancrée dans la médecine antique et relayée au début de l’époque moderne, notamment par Claude Prieur ou Jean de Nynauld, pour qui elle désigne une maladie « naturelle » qui relève des troubles de l’esprit, une forme de mélancolie. En second lieu, il s’agit d’une tradition occulte renouvelée au XVIe siècle par les démonologues qui y voient de véritables transformations, fruits de manipulations magiques réalisées sous influence diabolique. 

 

   Les actes du lycanthrope sont précis et documentés par la littérature. Jean Bodin, par exemple, dans son Fléau des sorciers, s’intéresse au cas Gilles Garnier qui « étant en forme de Loup Garou, prit une jeune fille de l’âge de dix ou douze ans près le bois de la Seire en une vigne, au vignoble de Chastenoy près de Dole… Il l’avait tuée, et occise tant avec ses mains semblans pattes, qu’avec ses dents, et mangé la chair des cuisses et bras dicelle, et en avait porté à sa femme ». L’iconographie rend visible cette figure, par exemple chez Lucas Cranach l’ancien (1512).

 

   La figure du loup dévoreur connaît aussi une vaste extension dont témoignent les contes qui lui donnent le rôle du prédateur de jeunes filles décrit par exemple par Restif de la Bretonne à la fin du XVIIIe siècle, qui métaphorisent l’initiation sexuelle et enseignent à la faveur du loup une distribution sexuée des rôles. Au XIXe siècle encore, les folkloristes collectent également les multiples occurrences de ces croyances

 

   On retrouve également cette figure du mal parmi les catégories de la médecine morale du premier XIXe siècle : Philippe Pinel mentionne l’existence de « l’hypochondrie maniaque connue sous le nom de lycanthropie » dans son Traité médico-philosophique de l’aliénation mentale. La notion s’insère ensuite sans trop de difficulté dans la partie des monomanies qui cherchent à pathologiser les comportements immoraux, à côté de la monomanie homicide, de la pyromanie ou de la kleptomanie. Jean-François Leuret, en 1834, établit ainsi « l’identité qui existe entre la monomanie homicide, la lycanthropie et certains états désignés sous le nom de possession » ; il la rapproche parallèlement du goût pour les changements de sexe. Ulysse Trélat associe la lycanthropie à la mélancolie et à la nécrophilie, tandis que Marc rapproche la lycanthropie de la monomanie par imitation. 

 

   Après 1860, l’intérêt des aliénistes pour le loup garou change de forme. Il s’agit davantage, par exemple pour Calmeil, Brière-de-Boismont ou Régis, qui jouent les historiens amateurs, de collecter des faits du passé susceptibles d’être réinterprétés aux nouvelles lumières de la médecine, de même que Charcot s’intéressera aux phénomènes de possession pour préciser ses travaux sur l’hystérie.

 

   Du point de vue médical, la figure bascule parallèlement dans l’anachronisme, d’une part parce que la médecine mentale abandonne les classifications symptomatiques pour une démarche plus étiologique et biologique, mais surtout parce qu’elle parvient à renouveler le sens des séries d’actes violents qui caractérisent la geste criminelle du loup. Le travail le plus abouti est celui de Richard von Krafft-Ebing qui, en élaborant les perversions sexuelles, fait des lycanthropes des « monstres psycho-sexuels » et des criminels « sadistes ». Cet aboutissement permet rétrospectivement de mieux saisir l’usage intellectuel qui a été fait de l’ancienne figure du lycanthrope. En nouant crime de sang et crime sexuel, celle-ci a permis d’unifier un ensemble de gestes, de leur donner cohérence et, d’une certaine manière, de rendre culturellement possible la lecture d’une certaine organisation de pulsions, avant même qu’on en ait formalisé le principe. On peut à ce titre en comparer le rôle à la figure du vampire par rapport à la nécrophilie, c’est-à-dire celui d’un relais de pensée capable d'associer des éléments jusque-là hétérogènes.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Lypémanie - Pyromanie - Buveurs de sang 

Laurence Guignard - Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne/INSPE

Références :

Lise Andriès, « Contes du loup », in Jean de Nynauld, De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers 1615, édition critique, Frénésie, 1990.

Laurence Guignard, Antoine Léger l’anthropophage. Une histoire des lectures de la cruauté (1824-1903), 2018.

Pour citer cet article : Laurence Guignard, "Lycanthropie", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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