Carte postale, Scènes et types d’Afrique du Nord. Deux jeunes filles du Sud, éditions Jomone [Alger, Algérie], 1959. extraite de BLANCHARD, Pascal, BANCEL, Nicolas, BOËTSCH Gilles, THOMAS, Dominic, TARAUD, Christelle, Sexe, race et colonies.Rêvées et fantasmées, c’est la manière dont sont perçues les Mauresques, ces femmes prostituées nord-africaines présentes sous l’Empire colonial français au Maghreb qui débuta en 1830. Se créé rapidement autour de ces femmes tout un imaginaire mélangé de domination coloniale et de tabous liés à l’Islam.
L’histoire des sexualités dans les colonies à travers le monde est un sujet d’étude uniquement depuis une trentaine d’années. Ces études ont permis de comprendre, dans le cas des Mauresques, quelle était l’origine du fantasme les concernant. Cette fascination autour de la femme orientale serait née durant l’époque moderne. Les récits pré-orientalistes des explorateurs et des voyageurs du XVIème et du XVIIème siècles auraient influencé la vision que l’Occident porte sur l’Orient notamment en ce qui concerne les femmes. D’abord à travers les peintures, avec un grand nombre de représentations de femmes déshabillées dans des harems, puis à travers la photographie représentant des femmes maghrébines seins nus. En effet, c’est l’introduction de la photographie ainsi que des cartes postales qui ont permis notamment la diffusion de l’image de la Mauresque en Europe et plus particulièrement en France au XXème siècle.
Toutefois, c’est au XIXème siècle que l’image des femmes orientales prend un tout autre tour. La France est en pleine expansion et se déploie en Algérie en 1830 puis en Tunisie en 1881 et enfin au Maroc en 1912. À partir de 1887, la globalité des territoires de l’Empire colonial français sont soumis au code de l’indigénat. Les populations autochtones sont alors résignées à suivre une législation raciste et discriminatoire. Une barrière est posée entre l’Homme blanc et l’indigène. Contrôler ces derniers, c’est également maintenir l’ordre colonial en passant notamment par le contrôle des pratiques sexuelles.
Les Français arrivent alors en Afrique du Nord et découvrent des territoires avec des mœurs bien différentes des leurs. Ici, les femmes sont pour la plupart voilées et suscitent alors chez les hommes, la curiosité, mais aussi la tentation. Le désir de franchir l’interdit ainsi que de découvrir un corps censé être inaccessible est plus fort que jamais. De plus, à cette période, le contraste entre la femme européenne et la femme maghrébine était immense. D’un côté, les femmes européennes étaient perçues comme étant des femmes douces et pures, reflet de la bonne chrétienne réduite dans ses désirs. Les femmes maghrébines, elles, sont tentatrices, bien en chair et sont l’objet de multiples fantasmes. La différence entre les prostituées indigènes et européennes se mesure à la différence des tarifs, bien plus élevé pour les Européennes que pour les Mauresques.
Afin d’accroître leur domination, les colons se servent de leur autorité à travers cette sexualité, qui devient l’un des principaux éléments du contrôle des femmes indigènes. Les représentations de la Mauresque dénudée sont tellement nombreuses que pour certains Occidentaux, toutes les femmes indigènes deviennent de potentielles prostituées. Ce fantasme se manifeste par la présence d’un réseau de prostitution déjà présent lors de la période pré-coloniale mais s’accentuant après l’arrivée des Européens. Des bordels sont créés et des quartiers sont réservés à ce commerce illicite. Ces lieux avaient pour principal objectif de contrôler la propagation des maladies telles que la syphilis, qui se répandait assez rapidement. C’est la raison pour laquelle, une semaine après leur arrivée à Alger, en 1830, les autorités françaises ont mis en place un service de police et de la salubrité.
Malgré l’imaginaire se construisant autour du désir et du fantasme, la prostitution des Mauresques était en réalité le reflet d’une véritable misère. Certaines femmes étaient vendues par leur famille afin d’échapper à la famine. En 1878 le Maroc est frappé par une disette. Le Sultan suggère alors à ses habitants de vendre leurs enfants afin de pouvoir subvenir à leurs besoins. Plusieurs jeunes filles sont alors vendues par leurs pères, frères ou oncles et parfois même par leur époux. Dans l’enceinte fortifiée de Bousbir à Casablanca, construite spécialement afin de d’accueillir les quartiers réservés à la prostitution, l’âge minimum des prostituées était de 12 ans.
De nos jours, le fantasme autour des femmes maghrébines reste prégnant dans nos sociétés actuelles. Le site pornographique américain « xHamster » a dévoilé en 2019 les statistiques des recherches sur leur site en France. En tête du classement figure le terme « beurette » suivi de « marocaine » et « arabe » en 7 ème et 8 ème position. Ainsi, près de 60 ans après l’indépendance de l’Algérie, les fantasmes nés durant la période coloniale sont toujours bien ancrés dans les esprits.
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Références :
BLANCHARD, Pascal, BANCEL, Nicolas, BOËTSCH Gilles, THOMAS, Dominic, TARAUD, Christelle, Sexe, race et colonies, Paris, 2018.
TARAUD, Christelle, La prostitution coloniale, Payot, Paris, 2003.
Pour citer cet article : Nour LAKEHAL, "Les mauresques" dans H. Guillemain, DicoPolHiS, Le Mans UNiversité, 2023.