Affiche de prévention contre la tuberculose ; 1924.
Le XIXe siècle fut un siècle d’épidémies : la tuberculose, les pneumonies ou encore la diphtérie tuaient de nombreux.ses Français.es. À cette époque, les microbes proliféraient facilement et l’air était un vecteur important de transmission. Les maladies se diffusaient par le biais de la poussière mais aussi des crachats, car le XIXe siècle était aussi considéré comme un “siècle de cracheurs”. En effet, dans le contexte de la révolution industrielle, les fumées noires et épaisses entraînaient la sécrétion de mucus que la population rejetait par le crachat. Les vêtements, les tapis mais surtout les rues étaient alors souillés de crachats porteurs de microbes. Une fois desséchée, la poussière s’emparait du mucus contaminé et, sous les semelles, les crachats séchés étaient transportés jusque dans les foyers, accélérant ainsi la contamination. Découvrant que la poussière qui s’agitait dans l’air abritait notamment des milliards de bacilles de Koch, la propreté et l’hygiène étaient alors devenues une affaire de santé publique.
Au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, les hygiénistes s’étaient mis à lutter contre les germes responsables des contaminations. Il fallait réformer les habitudes. Il ne s’agissait pas d’empêcher la population de rejeter son mucus, mais plutôt de lui apprendre à cracher dans ses mouchoirs, au lieu de cracher par terre, dans ses doigts ou sur ses vêtements. Une politique de santé publique s’était alors mise en place afin de conserver une population en bonne santé et de réduire la mortalité. Le mouchoir était donc devenu un objet politique puisque l’objectif était que les comportements en matière d’hygiène évoluent et que cracher dans son mouchoir devienne une habitude.
Dès 1901, la Ligue des anti-cracheurs fut fondée, agissant avec des brochures, des prospectus ou encore des cartes postales. En 1902, une loi insista sur l’instruction publique et les règles d’hygiène. Ainsi, la presse et l’école agirent pour inciter à l’usage du mouchoir et mener la guerre aux crachats. D’abord, la presse influençait la population grâce à la publicité, qui rappelait subtilement la crainte des signes annonciateurs de la mort et donc les mesures à prendre pour s’en préserver. Ensuite, les instituteurs étaient chargés de changer les habitudes hygiéniques des élèves en leur enseignant les gestes permettant de préserver leur santé. Chaque matin, les instituteurs procédaient notamment à une « visite de propreté » et examinaient, par exemple, les mouchoirs des élèves. Que ce soit par le biais de la presse ou de l’école, une dimension morale s’ajoutait à ces pratiques. En effet, tout un code de « morale hygiénique » s’était développé avec l’idée selon laquelle cracher dans son mouchoir signifiait être pur et moralement supérieur, alors qu’au contraire, cracher par terre était perçu comme une honte. Le mouchoir était donc aussi devenu un objet de distinction sociale, engendrant une peur grandissante des classes sociales les plus pauvres qui mettaient plus de temps à adopter l’habitude de cracher dans leur mouchoir.
Ainsi, en plus de servir à s’essuyer le visage ruisselant de sueur ou encore à enlever une tâche de ses vêtements, le mouchoir servait de plus en plus à recueillir les crachats. Cependant, les hygiénistes avaient rapidement découvert que ce qu’ils pensaient être un remède contre les épidémies était finalement un vecteur de contamination. En effet, la manière dont les mouchoirs en tissu étaient utilisés amplifiait les contagions. Remplis d’excrétions nasales, ils étaient conservés pendant plusieurs semaines dans les poches avant que les gens ne jugent indispensable de les faire bouillir pour les remplacer par d’autres. Les mouchoirs en tissu propres étaient cependant glissés dans les poches déjà souillées par les mouchoirs précédents. La population avait aussi pour habitude de laisser traîner ses étoffes imprégnées de mucus, sur le coin de la table ou bien sur les meubles, diffusant les germes dans tout le foyer. Le mouchoir était aussi, pour l’élite, un moyen de communication : on l’agitait en signe de joie, d’adieu ou d’admiration, provoquant ainsi la diffusion des germes dans l’air.
Face à un objet finalement vecteur des épidémies, les hygiénistes tentèrent de trouver des solutions. Vers 1900, ils reprirent l’idée anglaise de commercialiser des mouchoirs en papier de soie. Mais, ne sachant pas comment recueillir ni éliminer les mouchoirs souillés, ils essayèrent à nouveau de changer les habitudes en incitant désormais la population à cracher dans des crachoirs. Pourtant, nombreux étaient ceux qui continuaient de cracher dans leur mouchoir.
Ainsi, à travers la mise en place d’une politique de santé publique, le mouchoir fut au XIXe siècle un objet symbolisant la prise de conscience de l’importance de l’hygiène dans la lutte contre les épidémies.
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Références :
Pierre Darmon, Défense de cracher ! Pollution, environnement et santé à la Belle époque. Le Pommier, Paris, 2020.
Jean-Pierre Goubert, Une histoire de l’hygiène. Eau et salubrité dans la France contemporaine. Ellipses, Paris, 1998.
Pour citer cet article : Julie Fevrier, "Mouchoir", dans H. Guillemain, DicoPolHiS, 2024.