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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Obusite

Des troubles apparus pendant la Grande Guerre suscitent un débat médical fortement politisé.Soldat britannique souffrant de l’obusite, hôpital militaire de Netley, 1917.

   Des troubles apparus pendant la Grande Guerre suscitent un débat médical fortement politisé.

 

    La violence inédite de la Grande Guerre a suscité des troubles nouveaux parmi les soldats. La longue liste de leurs symptômes comporte, entre autres, le tremblement, la surdité, le mutisme, le bégaiement, la confusion mentale, la désorientation et la paralysie. Curieusement, malgré tous ces symptômes incontestables, la plupart des soldats concernés n'avaient pas de blessures organiques visibles. Alors comment expliquer ces troubles et comment les traiter ?

 

    Désemparés face à cette énigme, les médecins ont tenté de nommer le syndrome observé. Les termes « obusite » en français, shell shock en anglais et Granatkontusion en allemand sont loin d’être les seuls diagnostics avancés. Le grand nombre d’appellations reflète la variété des opinions médicales sur la nature, l’étiologie et le traitement du nouveau syndrome.

 

    On pourrait regrouper ces opinions dans trois catégories. Premièrement, il y avait ceux qui, ne voyant aucune blessure organique, ont déclaré les soldats concernés simulateurs, conscients ou inconscients. Deuxièmement, il y avait des médecins, notamment psychiatres, qui ont cru en l’existence d’une vraie maladie et qui l’ont expliquée par un trauma psychique dû aux combats. Troisièmement, il y avait des médecins, surtout neurologues, qui ont défendu la thèse selon laquelle les soldats avaient subi de véritables blessures physiques du tissu nerveux à la suite des explosions sur le champ de bataille. Cette logique est à la base de notions courantes, comme « obusite » ou « syndrome commotionnel », qui insistent sur un lien direct entre les effets des combats et les symptômes des soldats.

 

    Critiquant indirectement la brutalité, soit physique, soit psychique, de la guerre, cette explication des souffrances des soldats a rencontré une forte résistance pouvant mener jusqu’à sa répression, comme c’était le cas avec l’interdiction du terme shell shock par le British War Office en 1917. Généralement, les médecins n’étaient pas épargnés par le nationalisme et la culture guerrière omniprésents. Comme beaucoup d’entre eux voulaient souligner l’importance de leur profession pour l’effort de guerre, ils ont expliqué les troubles non pas par les effets néfastes de la guerre mécanique, mais plutôt par la faiblesse personnelle des soldats concernés. En leur reprochant une simulation et en diagnostiquant chez eux une « hystérie » ou une « confusion mentale », les médecins ont contribué à la stigmatisation sociale de leurs patients. Notamment, la notion d’« hystérie », traditionnellement associée au sexe féminin, était humiliante et diffamatoire parce qu’elle allait à l’encontre de l’idéal du soldat viril et intrépide.

 

    Du côté allemand surtout, il existait un vif débat entre les médecins qui déclaraient leurs patients hystériques et ceux qui diagnostiquaient une névrose traumatique. Ce débat fortement politisé a tourné autour d’une question : les symptômes des patients étaient-ils directement causés par la guerre ou bien les soldats étaient-ils prédisposés à ces symptômes ? Comme c’était déjà le cas dans le cadre d’un débat précurseur à propos de victimes d’accidents, les partisans allemands du diagnostic d’« hystérie » avaient tendance à reprocher à leurs patients de vouloir profiter des pensions étatiques, d’ailleurs plus importantes en Allemagne qu’en France. Par conséquent, l’image de l’hystérique en Allemagne était péjorative non seulement à cause de sa connotation féminine, mais aussi parce qu’il faisait penser à un membre de la classe ouvrière soupçonné de vouloir exploiter l’État au lieu de lui servir.

 

    La question des soldats malades est ainsi vite devenue une urgence nationale. Craignant qu’un grand nombre d’invalides puisse à la fois surcharger le budget national et décimer les effectifs de guerre, on était bien décidé à endiguer la vague des « hystériques », vue par certains comme une épidémie. Au lendemain des batailles sanglantes de 1916, les associations des psychiatres et des neurologues allemands se sont rencontrées à Munich pour trouver un consensus. Leur congrès s’est terminé par la victoire décisive des partisans de l’hystérie (Robert Gaupp, Alfred Hoche) sur le neurologue juif Hermann Oppenheim, qui avait défendu la théorie d’une névrose traumatique.

 

    L’explication des symptômes des soldats par leur prétendue faiblesse mentale permettait non seulement de dissimuler la nocivité du combat, mais aussi de justifier les traitements dits actifs, basés sur la suggestion et les chocs électriques. Supposant que la maladie était pithiatique, soit curable par persuasion, les médecins pouvaient plus rapidement « guérir » leurs patients et les renvoyer au front. La plupart d’entre eux ont favorisé le traitement qui était le meilleur pour la patrie à celui qui était le meilleur pour l’individu, s’appuyant sur des considérations politiques plutôt que sur des connaissances scientifiques. Il fallait attendre la fin des hostilités pour pouvoir étudier plus objectivement les effets du bombardement massif sur l'individu.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Gueules cassées

Sebastian Emde - Le Mans Université

Références  :

Gregory M. Thomas, Treating the trauma of the Great War. Soldiers, civilians, and psychiatry in France, 1914 - 1940, Louisiana State University Press, 2009.

Paul F. Lerner, Hysterical men. War, psychiatry, and the politics of trauma in Germany, 1890 - 1930 (Cornell studies in the history of psychiatry), Cornell Univ. Press, 2003.

Pour citer cet article : Sebastian Emde, "Obusite", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.

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