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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Gueules cassées

Les Gueules cassées sont difficilement reconnues comme blessés de guerre mais elles représentent un tournant pour  la chirurgie.Georges Conrad, Les Gueules cassées, affiche de l’Union des blessés de la face, lithographie couleur, 1,6 x 1,2m, Rouen, Bibliothèque municipale/gallica.bnf.fr

   Les Gueules cassées sont difficilement reconnues comme blessés de guerre mais elles représentent un tournant pour  la chirurgie.

 

   En France, près de 2,8 millions de personnes sont blessées, dont 300 000 mutilées, durant la Première Guerre mondiale. Il faut attendre la fin de la Grande Guerre pour que le terme des « Gueules Cassées » apparaisse. Il est attribué au Colonel Picot, lui-même grièvement blessé au visage par un obus le 15 janvier 1917. Quelques mois plus tard, Picot, retiré du front, se rend à Paris, place de la Sorbonne, pour assister à une fête patriotique. Mécontent de ne pas pouvoir y entrer, l’homme grommela : « gueule cassée » en signe de protestation. Ainsi le terme est né. Le visage est souvent évoqué comme « le lieu le plus humain des Hommes ». Pourtant, la reconnaissance officielle de ces mutilés de guerre prend du temps.

 

   Lors de la guerre civile américaine (ou guerre de Sécession, 1861-1865), pour la première fois, les blessés des combats sont immortalisés et commencent à être identifiés grâce à la photographie médicale du champ de bataille. Au début du XXe siècle, lors de la Première Guerre mondiale, 40% du contingent français a été touché physiquement et 11 à 14% de ces invalides l’ont été au visage. Néanmoins dès 1919, le président du Conseil, Georges Clemenceau, convie cinq représentants des Gueules cassées au Traité de Versailles, est-ce le symbole de la reconnaissance de ces mutilés de guerre ? Cette invitation n’est pourtant pas représentative de la prise en charge des Gueules Cassées. Ces blessés du visage n’ont pas le droit à une pension d’invalidité au même titre que les autres blessés car ils sont revenus du champ de guerre avec leurs deux bras et leurs deux jambes. De plus, les témoignages de ces mutilés de la Grande Guerre ne sont pas nombreux et les quelques représentations existantes sont peu représentatives de la réalité des mutilations. Lorsque les photos des Gueules Cassées sont aperçues par la population, c’est d’abord par l’intermédiaire des journaux et de la propagande politique de guerre (dans L’Illustration ou Le Miroir). Les affiches associatives, à l’instar des artistes académiques, s'adonnent à des représentations presque approximatives du soldat mutilé, et ne montrent pas un portrait classique, entier et réaliste du corps, parfois meurtri.

 

   En 1921, en France, des affiches sont placardées dans les rues pour soutenir les “Gueules Cassées” et faire reconnaître leur statut de mutilé de guerre. Le Colonel Picot, fondateur de L’Union des Blessés de la Face et de la Tête, y participe. L’organisation met notamment en scène, dans ses affiches, un couple célèbre de la guerre : le blessé et l’infirmière. Mais l’association n’est reconnue d’utilité publique qu’en 1927, deux années après la mention de “défiguration” dans le décret permettant la reconnaissance officielle de ces mutilés de la face. Lors des décennies suivantes, les Gueules cassées, via des associations, suivent la voie et se mobilisent afin d’accélérer le processus de reconnaissance.

 

   L’atteinte faciale des combattants est si importante, d’une part quantitativement au regard du nombre de soldats mutilés de retour du front mais également par les conséquences sur les visages, que la sphère médicale et notamment la chirurgie doit évoluer après la guerre pour s’adapter à ce nouveau défi. En dehors de quelques rhinoplasties (opération chirurgicale du nez) et otoplasties (opération chirurgicale des oreilles) déjà existantes dans le domaine de la santé au XIXe siècle, la chirurgie esthétique naît en France au lendemain de la Grande Guerre, lorsque les Gueules Cassées souhaitent retrouver un « visage humain ». Les besoins deviennent rapidement importants durant la guerre et les blessés sont pris en charge par des centres spécialisés dans la chirurgie maxillo-faciale, loin du front. Ainsi, au-delà de la réparation, chirurgiens et dentistes mais aussi les médecins à tout faire (Henri Delagenièrepar exemple), doivent désormais s’atteler à la beauté. Le « sculpteur de visage » devient donc un « artiste ». Mais à la sortie de la guerre, la démobilisation interrompt le mouvement de spécialisation initié pendant les cinq années de conflit. Le retour à la vie civile met fin au nouveau domaine chirurgical et, à l’instar de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, les services de santé spécialisés mis en place durant la guerre ferment leurs portes.

 

   S’ils ne sont pas tombés au front, les Gueules Cassées ont des séquelles psychologiques et des blessures physiques indéniables et visibles par le reste de la société. La prise de conscience de l’existence de ces combattants atteints au visage a permis une mobilisation des politiques, une reconnaissance plus poussée des blessés de guerre mais également la création de domaines spécifiques de la  médecine.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Delagenière Henri - Infirmes - Surmortalité asilaire

Gautier Chancé - Le Mans Université

Références :

Sophie DELAPORTE, Visages de guerre. Les gueules cassées, de la guerre de Sécession à nos jours, Belin, 2017.

Claire MAINGON, Mains coupées sur paupières closes : Blessures, mutilations subies et sublimées des artistes en guerre (1914-1930), Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2018.

 

Pour citer cet article : Gauthier CHANCÉ, "Gueules cassées", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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