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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Orgasme féminin

L'histoire des représentations de l’orgasme féminin, qui désigne selon le dictionnaire Larousse « le point culminant et terme de l'excitation sexuelle, caractérisé par des sensations physiques intenses », recèle des enjeux politiques de plus en plus puissants.Jacques Gautier d’Agoty, Exposition anatomique de la structure du corps humain, 1759.

   L'histoire des représentations de l’orgasme féminin, qui désigne selon le dictionnaire Larousse « le point culminant et terme de l'excitation sexuelle, caractérisé par des sensations physiques intenses », recèle des enjeux politiques de plus en plus puissants.

 

   Depuis l’Antiquité, la représentation du corps de la femme évoque la faiblesse et l’impureté. Aux yeux des médecins galéniques, les organes sexuels de la femme sont équivalents à ceux de l’homme mais cachés à l’intérieur du corps. Cette théorie est reprise par les médecins du XVIe siècle, et oppose de plus la froideur du corps féminin à la chaleur naturelle de l’homme. La théorie de la « double-semence », dont l’une était censée venir de la femme et l’autre de l’homme, joue également un rôle important : les partenaires éprouvaient un orgasme simultané, qui permettait la meilleure fusion possible des deux « semences ». En même temps, au XVIe siècle, la pression morale s’intensifie. Des lois sévères sont promulguées par les pouvoirs civils qui culpabilisent de plus en plus des conduites impudiques et obscènes. Elles imposent un modèle de sexualité purement procréatrice encadré par le mariage qui insiste sur le sacrement monogamique, insoluble depuis le Concile de Trente. Dans le discours chrétien traditionnel, le plaisir est lié au péché : il s’agit de valoriser le mariage sans jamais rechercher du plaisir en dehors des rapports sexuels conjugaux. Ainsi, les prêtres essaient d’empêcher toute tentative de pratiques sexuelles qui n’a pas pour seul but la procréation, en interrogeant au confessionnal les femmes sur les positions sexuelles, entre autres. 

 

   Une abondante littérature érotique au XVIIe siècle permet de repérer l’existence d’une culture du plaisir en France. Centrée sur la représentation masculine du plaisir, elle octroie également une place à celui du sexe opposé : la première œuvre qui aborde le droit des femmes aux émois érotiques en se concentrant sur l’orgasme féminin est L’Ecole des filles, un texte anonyme paru en 1655. L’auteur donne des conseils pour des préliminaires sensuels et des joies solitaires féminines, ou encore, conseille de choisir un amant pour atteindre l’orgasme au mieux, car le sexe conjugal est considéré comme un devoir moins agréable.

 

   Au cours du XVIIIe et du XIXe siècles, une nouvelle précision clinique marque le discours médical, grâce notamment à une meilleure connaissance de l’anatomie. C’est le médecin allemand Albrecht von Haller qui propose en 1774 dans La Génération un focus sur la montée du désir féminin et l’érection du clitoris, en s’éloignant de la théorie de la double-semence. Cependant, les auteurs du XVIIIe siècle révèlent leur difficulté à se référer à un autre modèle que celui de l’éjaculation ; la jouissance de la femme continue ainsi à être définie par un modèle purement masculin. De fait, à l’instar de l’homme dont le sexe bande, les organes féminins se gonflent par un afflux sanguin. Dans une autre approche, mais toujours androcentrée, Pierre Roussel s'intéresse à la même période au comportement féminin et au rôle essentiel de la pudeur de la femme dans le désir et l’excitation sexuelle : qualifiée de conduite naturelle, elle est indispensable pour libérer l’homme de toute inquiétude lors des rapports sexuels.

 

   Avec le XIXe siècle, la double sexualité masculine, qui permet de fréquenter sans problèmes les prostituées tout en étant marié à une chaste épouse frigide, est justifiée. La nécessité de réguler le plaisir féminin d’une manière sage apparaît indispensable. Les médecins voyaient un risque dans l’ardeur qui pouvait suivre la jouissance féminine et qui les incitait à la masturbation, une apparence de fureur, et, au plus extrême, un accès de nymphomanie. À nouveau, dans cette représentation, c’est l’homme qui apporte la solution : sa liqueur séminale est censée soulager et rafraîchir cette ardeur du col de l’utérus. Les méthodes pour guérir les excès et abus, comme la masturbation chez les filles, étaient très variées : les médecins appliquent des régimes, des pratiques hygiéniques et une éducation morale plus large qui rappelle parfois les préceptes des théologiens moraux.

 

   Depuis les années 1960, se produit une véritable révolution dans le rôle du plaisir de la femme à travers l’irruption de l’orgasme féminin sur la scène publique et privée. Ici, la contraception joue un rôle fondamental : elle offre aux femmes, si elles le veulent, l’orgasme sans risque, disjoint de la honte et du tabou. Cette liberté n’a cessé de s’accroitre au cours des dernières décennies en attirant l’attention sur d’autres enjeux tels que la définition phallocentrique du sexe et la diversité de la vie sexuelle, comme le fait d’être asexué ou de ne pas correspondre au modèle sexuel binaire.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Sexologie - Hymen - Andrologie

Rahel Schuchardt - Université de Paderborn

Références :

CORBIN Alain, L’harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Perrin, 2008.

MUCHEMBLED Robert, L’orgasme & l’Occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Éditions du Seuil, 2005.

Pour citer cet article : Rahel Schuchardt, "Orgasme féminin", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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