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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Sexologie

Lorsqu’elle émerge au début du XXe siècle, cette nouvelle discipline s’attache à distinguer les comportements normaux des comportements jugés pathologiques.Chinese ivory statue man and woman engaged in sexual foreplay. Wellcome Collection

   Lorsqu’elle émerge au début du XXe siècle, cette nouvelle discipline s’attache à distinguer les comportements normaux des comportements jugés pathologiques.

 

   Lorsque le mot sexologie apparaît en français aux alentours de 1910, sa définition est loin d’être fixée. Pourtant, il existe bien, à cette époque, une science de la sexualité parfois appelée « psychopathologie sexuelle » ou « hygiène conjugale ». À l’époque moderne déjà, plusieurs traités, influencés notamment par la tradition hippocratique, sont consacrés à la sexualité humaine et à ses maux. Certains ont connu une diffusion particulièrement importante, à l’image du manuel de Nicolas Venette (1633 – 1698) destiné aux couples mariés et de l’ouvrage de Samuel-Auguste Tissot (1728 – 1797) consacré à l’onanisme, réédités respectivement jusqu’en 1903 et 1905. Mais c’est bien à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle que le socle théorique de la sexologie moderne se forme, à la faveur du développement de la physiologie, de la psychiatrie et de la gynécologie. 

 

   Prescriptive, cette sexologie naissante s’attache à distinguer les comportements normaux des comportements jugés pathologiques, conférant aux ouvrages fondateurs de l’époque des airs de catalogue des pratiques déviantes. L’ouvrage Psychopathia Sexualis, publié par le psychiatre autrichien Richard Von Krafft-Ebing (1840 – 1902) en 1886 à destination des médecins et juristes, s’inscrit clairement dans cette tendance. En parallèle de cette attention portée aux perversions, une clinique des dysfonctions sexuelles, attentive notamment à l’impuissance et à la frigidité, se développe également.

 

   Dès le début du XXe siècle, la sexualité et les savoirs qui la concernent font l’objet d’appropriations militantes par les mouvements néo-malthusianiste, abolitionniste, féministe ou encore homosexuel, alors que le développement de la psychologie, puis de la psychanalyse, renouvelle les approches scientifiques de la sexualité. Plusieurs médecins promeuvent alors une vision plus libérale de la sexualité, souvent dissociée de la procréation, sans pour autant renier l’idéal conjugal hétérosexuel. C’est le cas par exemple du Suisse Auguste Forel (1848 – 1931) et de l’Anglais Henry Havelock Ellis (1859 – 1939). En Allemagne, Magnus Hirschfeld (1868 – 1935), fervent partisan de la dépénalisation de l’homosexualité, fonde en 1919 l’Institut des sciences de la sexualité, situé à Berlin. Cette approche plus libérale n’exclut pas une intervention plus grande de l’État dans ce domaine. Bien au contraire, durant l’entre-deux guerres, la sexualité devient un objet de politiques publiques – parfois teintées d’eugénisme – dans les pays occidentaux tout comme dans les régions colonisées.

 

   Dans les années 1940 et 1950, la sexologie connaît un nouvel élan outre-Atlantique, où les approches behavioristes modèrent la dimension normative des fondements théoriques de la discipline. En 1938, l’entomologiste et zoologue Alfred Kinsey (1894 – 1956) entame une vaste étude sur le comportement sexuel humain, à laquelle environ 18 000 individus participent. Les résultats de son enquête révèlent à l’Amérique maccarthiste que de nombreuses pratiques, pourtant étiquetées comme pathologiques ou perverses, sont fréquentes. Entre 1957 et 1965, le gynécologue William Master (1915 – 2001) et la psychologue Virginie Johnson (1925 – 2013) utilisent un dispositif de laboratoire pour observer l’activité sexuelle de leurs contemporains. Leur approche révolutionne le traitement des troubles de la sexualité en proposant des thérapies brèves, centrées sur le couple et non plus sur l’un ou l’autre des conjoints. 

 

   Ce sont de nouvelles revendications sexuelles qui émergent avec les mouvements sociaux des années 1970. Les savoirs sur les sexualités n’échappent pas à la contestation de l’ordre établi. Dans Le Mythe de l’orgasme vaginal, paru en 1968, Anne Koedt (1941 – ) réfute une conception du plaisir féminin héritée de Freud (1856 – 1939) et largement répandue parmi les thérapeutes. Alors que les luttes pour le droit à l’avortement et à la contraception et en faveur des droits des homosexuels remportent leurs premières victoires, la notion de « santé sexuelle » fait son apparition lors d’un symposium sur les thérapies sexuelles organisé par l’OMS à Genève en 1974. Cette période est également marquée par le développement de structures et de mesures visant à informer de larges publics, tels que les plannings familiaux et les programmes d’éducation sexuelle.

 

   À la fin du XXe siècle, certaines pratiques cessent d’être considérées comme des troubles psychiatriques. L’homosexualité est ainsi retirée du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) en 1973, puis de la CIM (Catégorisation internationale des maladies) en 1990. Parallèlement, la nosographie des troubles sexuels se complexifie et les dysfonctions sexuelles font l’objet d’une attention particulière, alors que le développement de certaines disciplines médicales ou apparentées, telles que les neurosciences, l’endocrinologie ou la pharmacologie, sert les approches biologisantes de la sexualité.

 

Prolonger la lecture :Droit aux soins - Avortement - Corset - Hymen

Taline Garibian - Université de Genève

Références

Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie (1850-1900), Payot & Rivages, 2012.

Alain Giami, Sharman Levinson (dir.), Histories of Sexology. Between Science and Politics, Palgrave macmillan, 2021.

 

Pour citer cet article : Taline Garibian, "Sexologie" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.



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