“Groupe de “crétins” (après traitement)”, Journal of mental science, 1895. BIU Santé.
Si les aliénistes du début du XIXe siècle ne s’intéressent pas aux enfants caractériels et délinquants, les philanthropes s’en chargent et fondent des établissements d’éducation pour enfants abandonnés et vagabonds tels que les colonies pénitentiaires ou les maisons de redressement. De son côté, la médecine s'intéresse aux problèmes psychiatriques de l'enfant sous le prisme des deux pathologies alors reconnues : l'arriération, considérée comme un retard de développement, et l'idiotie, perçue comme innée. Ces enfants échouent en général à l'hôpital général ou côtoient les adultes dans les asiles d'aliénés selon la loi de 1838, consécration juridique de la médicalisation de la folie, qui n’établit pas de distinction entre les enfants et les adultes.
Alors que l'enfant est exclu des théories sur la folie en raison de son âge, plusieurs figures commencent à s'intéresser spécifiquement à lui. Jean-Marc Gaspard Itard est considéré comme le premier pédopsychiatre, il s'occupe du traitement du jeune Victor, l'enfant sauvage retrouvé dans l'Aveyron. Il travaille à l'Institut pour jeunes sourds avec Onésime-Edouard Seguin, instituteur d’enfants idiots, qui développe ses recherches sur l'éducation et la pédagogie des enfants arriérés dans le service d'Esquirol. Ses élèves s'occupent des troubles mentaux chez l'enfant : Félix Voisin, Jean-Pierre Falret, qui regroupe pour la première fois des enfants idiots à la Salpêtrière en 1821, et Guillaume Marie-André Ferrus, qui organise un centre réservé aux enfants idiots à Bicêtre en 1828. C’est également à Bicêtre que Désiré-Magloire Bourneville prend la direction du service des enfants idiots et épileptiques en 1879 et élabore une prise en charge pionnière dans le traitement médico-pédagogique des enfants par l’éducation et l’accès à l’autonomie. Il dirige ensuite la Fondation Vallée à Gentilly.
À la fin du XIXe siècle, l’attitude de la société envers la jeunesse délinquante évolue, en particulier aux États-Unis, et des éducateurs, psychologues, juristes et médecins commencent à s’y intéresser : le statut de l’enfant délinquant passe de « pervers » à « victime de maladie ». La théorie médicale de la dégénérescence héréditaire développée par Morel et Magnan est en plein essor : la maladie mentale est considérée comme une conséquence biologique et morale du développement des dégénérés. Les théories liées aux dangers de l’onanisme comme facteur principal des maladies mentales imprègnent également la psychiatrie jusqu’au XXe siècle : Freud apporte alors une nouvelle vision de la sexualité infantile comme partie intégrante du développement normal de l’enfant.
La Première Guerre mondiale oriente la psychiatrie vers une possible influence de l'environnement mais c'est l'essor de la psychologie scientifique qui va entraîner un changement dans la façon de voir l’enfant. Les psychologues allemands et anglais contribuent largement à ouvrir ce champ. En France, c’est Alfred Binet qui applique le premier la psychologie expérimentale à la psychiatrie. Il compare le comportement intellectuel des enfants normaux dans les écoles et celui des enfants arriérés à l’asile de Vaucluse où il côtoie le psychiatre Théodore Simon. Binet et Simon travaillent sur la création de classes de perfectionnement et développent une échelle métrique de l’intelligence. L’échelle Binet-Simon fut adoptée dans de nombreux pays et régulièrement révisée. Le psychologue allemand William Stern reprend ces travaux en 1911 et apporte une nouvelle lecture de l’échelle par l’invention du quotient intellectuel (Q.I).
Le début du XXe siècle marque une avancée majeure dans l’appréhension d’une vie psychique propre à l’enfant. On considère que la maladie mentale chez l’enfant n’est plus innée mais peut être également acquise au cours de son développement. Le secteur de la justice qui s’occupe de l’enfance irrégulière depuis 1830 et jusqu’en 1940, va laisser peu à peu une place aux pédopsychiatres. L’Autriche (avec August Aichorn) et les États-Unis (où des psychanalystes viennois émigrent et où les travaux de Seguin sont largement étudiés) sont très en avance sur la prise en charge de la délinquance : cette conduite n’est plus considérée comme héréditaire mais envisagée dans une perspective dynamique incluant la sociologie et la psychanalyse.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Psychanalyse de l'enfant - Pédopsychiatrie - XXe siècle
Références :
Didier Jacques Duché, « Histoire de la psychiatrie de l’enfant », dans Serge Lebovici, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Presses Universitaires de France, 2004, p. 3-13.
Nicole Catheline, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (XIXe-XXe siècle), L’Harmattan, 2021.
Pour citer cet article : Camille Monduit de Caussade, “Pédopsychiatrie - XIXe siècle”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.