Collection personnelle - Camille Monduit de Caussade
En Europe, dès les années 1910, le champ de la psychanalyse s’ouvre à la question de la psychanalyse avec les enfants. La relation que la psychanalyse entretient avec l’infantile passe d’abord par la cure d’adulte : le célèbre cas du petit Hans est l’étude psychanalytique d’une phobie d’enfant par son propre père, Herbert Graf, supervisé par Freud. Toutefois, un aspect de la biographie de Freud reste méconnu dans l’histoire de la psychanalyse : en 1886, Freud passe un mois dans le service pédiatrique de la polyclinique du pédiatre allemand Adolf Baginsky à Berlin avant de diriger le service des maladies nerveuses de l’Institut public des maladies infantiles à Vienne pendant une dizaine d’années. La formation pédiatrique de Freud a sans doute compté plus qu’il n’est fait état dans l’origine de la psychanalyse. Freud et ses disciples s’intéressent d’ailleurs assez tôt à la pédagogie et à l’éducation des enfants. Les préoccupations des psychanalystes portent alors principalement sur les manifestations sexuelles des enfants avec la question de l’onanisme et ses répercussions sur le système nerveux. Cette vision évolue progressivement vers l’étude du traitement des névroses et des symptômes des enfants.
Pour faire l’histoire de la psychanalyse des enfants, longtemps considérée comme une discipline mineure, il convient de dresser le portrait de ses pionnières qui sont des femmes. Hermine Hug-Hellmuth est une psychanalyste autrichienne, l’une des premières à appliquer la méthode psychanalytique sur des enfants. Dans son essai « De la technique de l’analyse d’enfants » qu’elle présente en 1920, elle introduit la dimension éducative et le rôle du jeu dans la cure d’enfant. Elle est aussi connue pour sa mort tragique, étranglée par son neveu de 18 ans dont elle avait entrepris l’éducation et qu’elle avait pris en analyse.
Après une analyse avec Freud, la psychologue polonaise Eugénie Sokolnicka arrive en France en 1921. Elle est une grande figure de la psychanalyse de l’enfant et participe à la création de la Société psychanalytique de Paris. L'une de ses analysantes, Sophie Morgenstern, est devenue la première femme à pratiquer la psychanalyse avec des enfants en France. Cette dernière rencontre Georges Heuyer, figure de la pédopsychiatrie en France , qui l’embauche à la Clinique de neuropsychiatrie infantile qu’il dirige. C’est à partir de ces années 1925 que de nombreuses consultations de neuro-psychiatrie infantiles ou médico-sociales se développent dans des services de pédiatrie ou au sein de dispensaires. Morgenstern forme plusieurs générations d'analystes comme Pierre Mâle ou encore Françoise Marette, future Dolto, qu'elle initie à la méthode du dessin d'enfant. Son article « Un cas de mutisme psychogène » paru en 1927, théorise l’utilisation du dessin libre pour comprendre les troubles d’un petit garçon. Son travail psychanalytique auprès des enfants dure jusqu’en 1940, année de son suicide lors de l’entrée des troupes nazies dans Paris.
L’histoire de la psychanalyse des enfants est aussi marquée par la rivalité entre deux psychanalystes : Anna Freud et Mélanie Klein. Déjà à Vienne, Anna Freud élabore sa pratique et son intérêt pour la psychanalyse des enfants au sein d’un « Kinderseminar » qu’elle instaure avec d’autres analystes comme August Aichorn, Margaret Lalher ou encore René Spitz. Les travaux d’Anna Freud sont nourris par ses recherches et sa pratique clinique dans le cadre de la Hampstead Clinic, qu’elle fonde à Londres en 1952. Mélanie Klein, installée à Londres depuis 1926, a su créer un mouvement de rupture en forgeant de nouveaux concepts et un cadre spécifique à la psychanalyse de l’enfant. Tout comme Donald Winnicott après elle, l’importance est donnée aux relations entre la mère et l’enfant, avec une place toute particulière pour le jeu. La querelle entre les deux femmes porte à la fois sur le cadre de la psychanalyse avec les enfants, sa visée pédagogique et la question centrale du transfert : Anna Freud défend une pratique du côté de la pédagogie alors que Mélanie Klein s’attache à interpréter les rêves et les fantasmes des enfants.
La psychanalyse avec les enfants reste encore une sous-spécialité lorsqu’en 1937, le premier Congrès international de psychiatrie infantile, sous l’égide de Georges Heuyer, consacre une part minime à la discipline. Il faudra attendre la fin de la guerre pour voir s’institutionnaliser une psychanalyse des enfants et des adolescents en France. En 1946, le premier Centre psycho-pédagogique (CPP) destiné aux enfants et adolescents ouvre au sein du lycée Claude Bernard à Paris. D’autres suivront, notamment à Toulouse, sous l’impulsion de Juliette Favez-Boutonnier. Très liés au mouvement analytique, ces centres deviendront les Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) gérés par des associations de loi 1901 et reconnus d’utilité publique dès 1963. Ils sont les premiers lieux à prendre en compte à la fois la pédagogie de l’enfant avec des psychopédagogues et ses troubles psychiques avec des psychanalystes, avant la mise en place du secteur infanto-juvénile dans les années 1970. À partir de là, la psychanalyse devient la référence principale des pratiques en pédopsychiatrie jusqu’à sa remise en question dans les années 1990.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Pédiatrie sociale
Références :
Annick Ohayon, « Les premiers moments de la psychanalyse de l’enfant en France dans les années 1920 et 1930 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », n°18, 2016, p.233-251.
Nicole Catheline, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (XIXe-XXe siècle), L’Harmattan, 2021.
Pour citer cet article : Camille Monduit de Caussade, ”Psychanalyse de l’enfant", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.