Affiche de la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement fédéral des Etats-Unis faisant la promotion de la pénicilline Parue entre 1942 et 1945 ( Science History Institut, Philadelphia, Pennsylvania, US).
L’histoire de la pénicilline, ce médicament au pouvoir curatif inédit, est l’histoire d’une révolution thérapeutique et d’une rupture historique dans l’évolution de la santé publique, impliquant de nombreux acteurs. En ce sens, elle n’est pas simplement le récit de la découverte du Penicilium notatum par le biologiste britannique d’origine écossaise, Alexander Fleming. Ce qui est en jeu, c’est également l’engagement des pays dans un processus de biomédicalisation de la santé.
Le pouvoir thérapeutique des moisissures était connu des guérisseurs depuis des millénaires déjà mais c’est en 1897 que le Français Ernest Duchesne, de l’Ecole du Service de Santé Militaire, découvre que certains champignons empêchent la multiplication des bactéries. Sa thèse explique l’antagonisme entre les moisissures et les microbes. En 1928, Alexander Fleming, lui, travaille sur les lysozymes (protéines) au sein de l’Inoculation Department du bactériologiste Almroth Wright à l’hôpital Saint- Mary de Londres dans le cadre d’un vaste programme sur les vaccins contre les infections bactériologiques. Il constate alors le pouvoir bactéricide de ce champignon, qu’il nommera Pénicilline. Cette découverte majeure ne suscite aucun engouement lors de la divulgation de ses résultats en 1929. Au milieu des années 1930 l’industrie pharmaceutique allemande, quant à elle, domine le monde et découvre les sulfamides qui tuent certaines bactéries (streptocoques, pneumocoques…). Ces remèdes sont les seuls médicaments disponibles à l’époque pour lutter contre la suppuration des plaies mais leur efficacité reste hasardeuse.
A la fin des années 1930 les travaux de Fleming déclenchent en revanche, un véritable enthousiasme chez le jeune réfugié juif allemand Ernst Chain, diplômé en chimie et physiologie. L’australienHoward Florey, titulaire de la Chaire de Pathologie de l’université d’Oxford, lui avait proposé dès 1935 de créer un nouveau département de biochimie dans son institut avec pour seule directive l’étude des fameux lysozymes découverts en 1922 par Fleming. Ces protéines lui semblaient liées aux défenses naturelles de l’organisme contre les bactéries. Ils lancent leurs travaux dès 1939. Les premiers tests sur des êtres vivants ont lieu en mars 1940, ceux sur les premiers êtres humains en janvier 1941. En juin 1941 l’efficacité de la pénicilline est désormais avérée. Cinq patients dont quatre enfants ont été traités favorablement. Mais la Grande-Bretagne, en plein effort de guerre, ne peut fournir les moyens techniques, financiers et humains nécessaires au développement d’une production de masse de ce nouveau remède miracle. Florey et l’un de ses collègues, Norman Heatley, partent immédiatement aux Etats-Unis démarcher les grandes firmes de l’industrie chimique américaine.
En 1943, avec l’avènement de la pénicilline, naît une nouvelle classe de médicaments : les antibiotiques. Ces médicaments d’un genre nouveau auront un impact majeur sur l’issue de la Seconde Guerre mondiale. En mai 1943 le président américain Roosevelt et le Premier ministre britannique Churchill décident du débarquement en Europe du Nord-Ouest l’année suivante. Ils mesurent l’intérêt de constituer d’ici-là des stocks suffisants de pénicilline afin d’assurer la survie des soldats alliés sur les côtes normandes. Au printemps 1944 les usines américaines et canadiennes fonctionnent à plein régime sous l’impulsion du War Production Board américain édifié en 1942 sur ordre de Roosevelt. Il est vrai que l’efficacité de la pénicilline est redoutable : avant 1944 une maladie telle que la pneumonie grave pouvait emporter jusqu’à 90% des malades. Ce pourcentage tombe à 10% seulement sous l’effet du médicament. Les dirigeants de sociétés stimulent alors le patriotisme américain et chaque ouvrier se voit rappeler que toute la pénicilline produite permettra de sauver la vie de leurs compatriotes partis au combat ou d’autres soldats sur les champs de batailles. Dans le même temps l’Allemagne, qui a laissé fuir ses universitaires et ses scientifiques au début des années 1930, avant même l’accession au pouvoir d’Hitler et la promulgation de la loi du 7 avril 1933 sur le service civil, a tout misé sur les sulfamides à l’efficacité aléatoire. Le pays a même délaissé la recherche scientifique sur les antibiotiques et se retrouve à la traîne de deux-trois ans sur ce plan par rapport aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne.
Parallèlement au soutien qu’elle apporte aux soldats alliés, la pénicilline fait son apparition dans les pharmacies américaines dès le 15 mars 1945. Les civils britanniques doivent attendre le 1er juin 1946 pour bénéficier du traitement par la pénicilline. En France, dans l’immédiat après-guerre, le Centre Cabanel cesse toute activité de production de pénicilline. Mais, dans le même temps, comme le rapporte Jean-Paul Gaudillière, le ministère de la Santé publique constate une augmentation significative de ses importations de pénicilline américaine qui envahit littéralement le marché. Fin 1946 la société française Rhône-Poulenc parvient à produire la pénicilline en quantités suffisantes (7 milliards d’unités en décembre 1946). Les pharmaciens français peuvent enfin délivrer de la pénicilline.
Dès l’année 1945, au sortir de la guerre, le trio Fleming-Florey-Chain se voit décerner le Prix Nobel de physiologie ou de médecine. Cette réussite ne doit pas pour autant cacher les tensions que cette collaboration Grande-Bretagne/Etats-Unis a engendrées. Depuis les années 1950 déjà, et jusqu’à aujourd’hui encore, la Grande-Bretagne a revendiqué la paternité de la découverte de la pénicilline dans un contexte où le pays, dont l’Empire se désagrège, cherchait à moderniser son image. Les retombées financières colossales quant à elles ont directement profité à l’industrie chimique américaine.
Ironie de l’histoire, la relance des travaux de Fleming par le chercheur juif allemand Chain a permis la mise au point du médicament miraculeux qui aura contribué à précipiter la défaite de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, cette découverte, l’une des plus importantes du XXème siècle, aura permis de redéfinir les contours de la recherche scientifique. Celle-ci est-elle l’œuvre de génies isolés ou bien plutôt celle d’équipes désormais pluridisciplinaires impliquant non seulement les milieux scientifiques mais aussi les acteurs économiques et politiques afin de répondre à des enjeux militaires mais également de santé publique ? Aujourd’hui l’efficacité des antibiotiques, qui ont pourtant permis de sauver des millions de patients de maladies infectieuses graves, se voit remise en cause en raison des multi-résistances développées par les bactéries. En son temps Fleming avait déjà alerté sur ce risque probable.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Thérapie phagique
Références :
Jean-Charles Foucrier, La guerre des scientifiques, 1939-1945, Editions Perrin, 2019
Jean-Paul Gaudillière, Entre biologistes, militaires et industriels : l’introduction de la pénicilline en France à la Libération, 5 novembre 2002, https://journals.openedition.org/histoire-cnrs/536?&id=536&lang=fr
Pour citer cet article : Nadine Le Saoût, "Pénicilline", dans H. Guillemain, DicoPolHiS, 2024.