Illustration par Jean Théodore de Bry, Proscenium vitae humanae sive Emblematum secularium jucundissima et artificiosissima varietate vitae humanae et seculi hujus depravati mores ac studia perversissima adumbrantium, 1627.
Dans un ouvrage d’anecdotes musicales paru en 1890, Jean-Baptiste Weckerlin décrit la première apparition publique en 1549 d’un instrument d’un nouveau genre : un piano (ou orgue) à chats.
Le piano à chats est un instrument de musique inventé au XVIe siècle, employant des chats pour produire un son. Le fonctionnement est simple et similaire à celui d’un piano : des touches reliées à des bras en bois permettent à l’utilisateur d’écraser, piquer ou tirer les queues de plusieurs chats, maintenus dans des boîtes et classés en fonction de leur timbre de voix. Le musicien n’est originellement pas censé être un homme ; c’est un ours qui doit tenir ce rôle. Le tout premier piano à chats avait pour but, selon la légende, de sortir un « grand prince » italien de sa mélancolie.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, il devait soigner des patients atteints de ce qu’on nommait alors la « catatonie ». La catatonie est un trouble mental et physique caractérisé par de nombreux symptômes : troubles affectifs, état végétatif ou encore pic d’activité brusque et soudain. Au XXe siècle, ce syndrome nourrit la description de la démence précoce et de la schizophrénie. L’invention de cet instrument s’inscrit donc dans un contexte où les hommes tentent de soigner la folie par tous les moyens : nombreux sont les médecins ou les empiriques qui prétendent détenir une solution miracle à ce sujet. Si certaines pratiques vont intégrer l’institution psychiatrique au XIXe siècle, à côté du piano à chats, d’autres dispositifs, plus ou moins anecdotiques, sont créés afin de sortir les « insensé.es » de leur état qui vont, des concerts d’ânes, aux remèdes « de bonne femme ».
Au tout début du XIXe siècle, Johann Christian Reil, un médecin allemand renommé, intègre l’histoire de cet instrument étrange dans un de ses traités car il est convaincu de son efficacité. Selon lui, les malades seraient bouleversés par le spectacle sonore et visuel produit par des chats criant de douleur. Leur esprit reviendrait alors dans le « monde réel » à la suite d’une diversion très commune dans les pratiques des premiers aliénistes. Mais si ce dernier conseille l’usage de ce traitement, rien ne permet de savoir s’il l’a réellement lui-même utilisé.
Depuis son invention au XVIe siècle, jusqu’au travaux de Johann Christian Reil au XIXe siècle, le piano à chats reste un instrument mystérieux, probablement destiné à soigner une certaine élite. Les histoires et témoignages qui accompagnent l’apparition et son utilisation font en effet tous référence à son emploi sur de « grands princes ». Certains auteurs vont même jusqu’à douter de son existence réelle, au moins comme moyen de guérir la catatonie. En effet, les nombreuses sources racontant l’apparition et l’utilisation de cet instrument sont souvent postérieures.
Une certaine méconnaissance persiste autour de la fréquence de l’utilisation de cet instrument à des fins médicales et son usage semble toujours récréatif au XIXe siècle. Il existe des modèles de pianos à chats, mais ces derniers sont souvent datés du XIXe siècle et sont des reconstitutions, des répliques, qui n’avaient parfois pour but que de distraire et d’amuser. Quelques années après sa supposée invention, le piano à chats apparaît déjà à une partie de la population comme un accessoire risible et grotesque notamment lors de la parution Proscenium vitae humanae par Jean-Théodore de Bry en 1627.
Si divers auteurs parlent aux XVIIIe et XIXe siècles de la présence de plusieurs pianos à chats en Italie ou en Bohème, une représentation publique de l’utilisation de cet instrument est faite aux États-Unis, en 1869. Il est alors perçu comme une curiosité et une attraction populaire, plutôt que comme un véritable traitement de la folie.
De nos jours, de nombreux articles, qu’ils soient de presse ou simplement amateurs, discutent l’existence de cet instrument. Le piano à chats est également devenu un élément de la culture populaire occidentale : de nombreuses représentations peuvent être aperçues dans des films d’animation, ou dans la réalité, avec une représentation de l’instrument devant Charles III, les chats étant dans ce cas remplacés par des homologues en caoutchouc.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Hypnose musicale - Musique et douleur (podcast La Piqûre de Rappel)
Références :
Michael Betancourt, The birth of sampling, Vague Terrain, 2011.
Claude Quetel, Pierre Morel, Les traitements de la folie, de la Renaissance au XIXe siècle : Les fous et leurs médecines de la Renaissance au xxe siècle, 1981.
Pour citer cet article : Louis Renault, « Piano à chats » dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.