Le placenta est un organe qui connecte physiquement et biologiquement l'enfant à sa mère. Pendant toute la grossesse, il est nécessaire à la survie du fœtus à qui il apporte l'eau, les nutriments et le dioxygène dont il a besoin. Il permet également d'évacuer les déchets produits par ce dernier, tels que le dioxyde de carbone. De plus, le placenta assume un rôle immunitaire. C'est une sorte de barrière entre le fœtus et l'extérieur, qui laisse, en revanche, passer les anticorps de la mère pour que se construise une immunité. Enfin, il sécrète des hormones qui permettent de maintenir la grossesse jusqu'à son terme, de préparer le corps de la mère à l'accouchement mais également à l'allaitement. Ce sont autant de rôles qui rendent cet organe indispensable et spécial.
C'est pourquoi, à travers les siècles et les cultures, le placenta a fait l'objet de diverses pratiques et croyances. En France, jusqu'au milieu du XXe siècle, et notamment dans les campagnes, les femmes accouchaient hors milieu hospitalier. Le devenir du placenta était alors lié aux croyances autour de l'accouchement. À l'époque moderne, ce dernier, considéré comme le jumeau, le double symbolique du fœtus pendant la grossesse, était enterré par le père qui plantait ensuite un arbre à cet emplacement. Bien avant que la naissance ne soit médicalisée, le placenta faisait donc l'objet de représentations fortes. Cependant, à partir du milieu du XXe siècle, de plus en plus de femmes accouchent à l'hôpital. Cela a amené un nouvel agencement culturel de la naissance et changé les relations entre la mère et son enfant. En effet, la parturiente, qui donnait auparavant la vie dans sa maison, entourée des femmes de sa communauté, accouche désormais dans un milieu médicalisé, où l'on prévoit le devenir des matières issues du corps humain. Cela amène alors de nouvelles pratiques et notamment une nouvelle conception du placenta puisque pendant longtemps il a véhiculé une représentation négative, du fait de son association avec le sang, notamment celui des règles, et la sexualité.
De plus, depuis les années 1960, à cause de maladies telles que les hépatites B et C ou encore le Sida, le placenta était considéré comme un “déchet” à risque. Aujourd'hui encore, le placenta est destiné au crématorium car il a le statut de « déchet opératoire ». Selon la loi du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, aucune autorisation n'est donc requise concernant son utilisation. Cela permet donc, par exemple, sa vente, sans aucune autorisation de la mère. En effet, les récentes avancées scientifiques ont montré que cet organe pouvait avoir de nombreux bénéfices thérapeutiques. Le placenta bénéficie donc d'une vision plus positive depuis les années 1980. Cela implique donc qu'il soit parfois vendu à des laboratoires pharmaceutiques. Pour toutes ces raisons, le placenta est donc systématiquement retiré à la mère, sans son accord.
Depuis les années 1960-1970, on assiste à la volonté d'un retour vers la nature qui se manifeste dans les pratiques des femmes lors de leur accouchement. Le placenta change alors de statut. Simple déchet, il devient un élément important dans la suite de couches grâce à ses bienfaits thérapeutiques. De plus en plus de femmes souhaitent conserver leur placenta pour ensuite le consommer de différentes manières, la plupart du temps sous forme de poudre après avoir été séché, ou bien en gélule. De même, le placenta porte une dimension de plus en plus symbolique. Par exemple, le placenta représente, de par ses fonctions, le lien entre la mère et son enfant. Il joue donc un rôle central dans le lien de filiation. Il permet de construire son identité, que ce soit celle d'une femme qui devient mère ou celle d'un enfant qui devient fils ou fille. Pourtant, le placenta reste un simple morceau de chair ; ce sont les pratiques et les croyances qui se développent autour de lui qui en font un objet identitaire.
Cependant, malgré ces nouvelles attentes des parturientes, leur placenta leur est toujours retiré dès son expulsion, sans leur consentement. En effet, le corps médical ne prend pas toujours en compte cette nouvelle dimension identitaire du placenta ni même la volonté des patientes. Pour parer à cela, des réformes sont progressivement mises en place, notamment en ce qui concerne la volonté des patient.e.s au sujet de leur corps. Le 9 juillet 2011, l'article du Code de la Santé publique qui prévoyait le statut du placenta est modifié. Celui-ci n’est plus considéré comme un déchet et le personnel soignant doit donc attendre l'autorisation de la patiente pour qu’il soit utilisé. Cela passe notamment par « l'obligation de proposer » toutes les perspectives qui s'offrent aux patient.e.s à son sujet. Cela montre donc qu'il y a une meilleure prise en compte de la volonté de la mère, et du patient en général, concernant son propre corps. Au-delà de la chair, le corps devient donc, depuis quelques années, de plus en plus symbolique, il joue un rôle central dans la recherche identitaire. Et le personnel médical doit s'adapter à cette nouvelle dimension.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Hymen- Fièvre puerpérale - Dr Quinn
Références :
Dominique Memmi, La revanche de la chair. Essai sur les nouveaux supports de l'identité, Seuil, Isle-d'Espagnac, 2014.
Daphné Meyer, "Le placenta des uns et des autres", Diplôme d'Etat de sage-femme, Université de Nantes, 2012.
Pour citer cet article : Mathilde Bouraud, "Placenta", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.