Vicomte Raoul de la Girennerie de Girin, La Pudeur du Matin / La Pudeur du Soir, lithographie, 1855, Musée Carnavalet, Histoire de Paris.
Plusieurs définitions peuvent être faites du concept de pudeur. Pour Jean de La Bruyère, écrivain et moraliste du XVIIe siècle, elle est un outil permettant de dissimuler une faiblesse ou un ridicule. Au sens plus large, la pudeur est un sentiment qui permet à l’individu de cacher ce qui doit l’être aux yeux de la société, selon les normes de celle-ci. Dès l’Antiquité ce sentiment existe, sans pour autant être caractérisé, il n’est pas clairement défini. En langue grecque, on note l’utilisation du terme aidôs, qui regroupe tant la pudeur que la modestie, la crainte ou encore les organes sexuels. Au Moyen Âge, pour le qualifier on parle de honte ou de vergogne. La frontière semble parfois, encore aujourd’hui, complexe à établir entre le sentiment de honte et la pudeur. La pudeur est alors un concept relativement vague, dérivé du latin pudor, désignant à la fois la honte, la réserve et la retenue.
Le terme de pudeur apparaît au cours du XVIe siècle. S’il naît à cette époque, la signification qui lui est associée par la société d’Ancien régime n’est pas celle que l’on conçoit aujourd’hui. Il s’agit alors de définir davantage une forme de chasteté, indispensable et nécessaire au genre féminin. La pudeur est théorisée juridiquement pour la première fois en 1791 par un décret qui condamne tout outrage à la pudeur des femmes.
La pudeur féminine est quelque peu dissociée de la pudeur masculine dans les mentalités du XVIIIe siècle. La femme, selon les discours essentiellement religieux, doit faire preuve de pudeur, qui est un caractère naturel à sa condition. La pudeur féminine se rapproche donc majoritairement de la non-exposition de son corps. Toute femme n’obéissant pas à cette injonction sociale et religieuse est alors perçue comme dépourvue de vertu. Selon les mots de Jean-Jacques Rousseau « Toute femme sans pudeur est dépravée, elle foule aux pieds un sentiment naturel à son sexe ». Cette nécessité de cacher le corps féminin est une préoccupation caractéristique des sociétés d’Ancien régime car une femme doit être vierge lors de son mariage. Par cette interdiction d’exhibition, on confirme alors que le corps de la femme reste inédit pour son futur mari, s’assurant ainsi de la parenté des enfants à naître. Ce lien entre parenté et pudeur est surtout établi par la définition faite dans l’Encyclopédie du XVIIIe siècle, qui confirme que le rôle majeur de la femme sur terre réside dans la procréation. Dans son article sur la pudeur, Louis de Jaucourt, l’un des principaux collaborateurs de l'œuvre de Diderot et d’Alembert, la définit comme « une honte naturelle, sage & honnête, une crainte secrette, un sentiment pour les choses qui peuvent apporter de l'infamie. » (Encyclopédie, t.13). Cependant, pour le Marquis de Sade, la « pudeur n’est qu’un préjugé ridicule » (Justine ou les malheurs de la vertu, 1791).
En ce qui concerne la pudeur masculine, elle est pensée davantage comme la nécessité de dominer ses émotions. Selon Norbert Elias, historien et sociologue qui se penche sur la question des rapports sociaux dans La Société de cour, il existe un lien étroit entre pudeur et nécessité de s’y contraindre pour répondre aux normes de la société de cour et accéder à un rôle important dans l’échelle sociale. La pudeur semble alors un élément garant de la paix sociale, répondant à des normes établies pour évoluer au plus près de l’entourage du souverain (ou du moins dans des sphères nobles). Cette pudeur émotionnelle masculine peut être synonyme de contrôle de soi, une vertu particulièrement recherchée pour un gentilhomme. Elle est progressivement imposée aux hommes au cours de la période moderne.
Si elle est placée comme garante de la paix sociale, la pudeur reste un obstacle dans les rapports médicaux. Les médecins dépeignent alors la pudeur féminine comme entrave à leur travail et aux diagnostics. Dans les consultations épistolaires du célèbre médecin du XVIIIe siècle Samuel Auguste Tissot, la pudeur des femmes transparaît. Elle est liée à l’évocation de leurs organes génitaux ou encore aux troubles de ceux-ci, qui constituent une honte majeure. Les hommes ressentent une gêne relativement semblable à ce propos mais en parlent plus librement, du fait d’une représentation de leur sexualité plus libérée. Si ces lettres nous permettent une observation directe de ce phénomène, le témoignage des médecins du XVIIIe confirme cette perception. La pudeur, conception morale pour les deux sexes, revêt en plus un caractère corporel pour les femmes, sa définition rejoignant celle de la chasteté, l’exposition du corps et de la sexualité féminines étant très fortement circonscrites.
La pudeur connaît donc diverses formes et des codes en constante évolution, ses critères actuels étant dérivés de ceux de l’époque moderne. Par exemple, s’il est accepté qu’un individu ne se vêtisse que d’un maillot de bain sur les bords de plage aujourd’hui, il apparaît cependant beaucoup plus discutable qu’un même code vestimentaire soit adopté au cœur d’un centre-ville.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Vapeurs - Femmes médecins
Références :
Jean Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Hachette littérature, 1997.
Éric Fiat, "Pudeur et intimité", Gérontologie et société, 2007, vol. 30, n° 122, p. 23-40.
Pour citer cet article : Juliette Leproux, "Pudeur", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.