À l'instar d'Andrew Carnegie, autre « baron voleur », John D. Rockefeller a choisi dans la dernière partie de sa vie de se tourner vers la philanthropie. Désir sincère de rendre à la société ou besoin de donner des gages en matière de bienfaisance, dans un contexte où son entreprise, la Standard Oil, est sous la menace d'un démantèlement (qui aura bien lieu en 1911), et où lui-même est conscient de son impopularité auprès d'une grande partie de la population, toujours est-il qu'il met en place, dès 1901, l'Institut Rockefeller pour la recherche médicale, puis en 1913 la Fondation Rockefeller.
Le magnat du pétrole revendique pour sa philanthropie une dimension scientifique, à rebours de la charité telle qu'elle se pratiquait à ses yeux jusque-là. L'objectif est d'identifier des problèmes auxquels il soit possible d'apporter des réponses efficaces, par des financements à la fois massifs et ciblés. L'ankylostomiase, maladie causée par un ver parasite, répondait à ces conditions : des campagnes associant recherche, éducation de la population et traitements médicamenteux furent menées aux États-Unis d'abord, puis en Amérique du Sud, aboutissant à une quasi-éradication de la pathologie.
L'homme sur lequel Rockefeller s'est principalement appuyé pour cette opération est son proche conseiller Frederick T. Gates – pasteur, dont la religiosité affichée ou réelle est certainement une caractéristique importante de la philanthropie états-unienne. Une dimension progressiste n'en est pas moins présente, ces œuvres d'un type nouveau attirant d'authentiques réformateurs sociaux. On s'en doute, il s'agit de réformes n'entendant pas bouleverser l'ordre économique et social existant : comme d'autres entrepreneurs philanthropes emblématiques après lui, Rockefeller croit en l'initiative privée y compris dans les domaines d'intérêt général. L'idée est de diriger des méthodes qui ont fait leurs preuves dans la sphère marchande (qui lui ont valu ses succès dans sa première carrière) vers d'autres champs, notamment sanitaire et médical.
La Fondation Rockefeller possède dès ses premières années une dimension internationale. Elle est présente en Europe pendant la Première Guerre mondiale, à côté d'autres organisations caritatives. La différence est qu'elle entend mener sa propre politique. Elle lance une campagne contre le typhus en Serbie, attribue des subventions à des scientifiques belges pour leur permettre de continuer leurs recherches au Royaume-Uni après l'invasion de leur pays, associant ainsi objectifs de court et de long-terme, soins et recherche.
On l'observe en particulier en France pendant l'entre-deux-guerres : lutte contre la tuberculose (création d'une commission confiée au docteur Biggs, spécialiste de santé publique à l'action saluée dans l'État de New-York), mais aussi formation (ouverture d'écoles d'infirmières dans plusieurs grandes villes) et soutien à la recherche, notamment biomédicale, dans laquelle la fondation voit l'avenir de la médecine. Elle aide ainsi l'Institut Curie à installer un centre de cancérothérapie. Des programmes de fellowships finançant le voyage et la formation aux États-Unis de médecins chercheurs (et contribuant, ajoutent les voix plus critiques, à la mise en place d'un réseau) complètent ce dispositif.
Probablement la fondation la plus en vue dans le monde alors, la Rockefeller s'est vue remplacée à cette place par la Fondation Ford au moment de la guerre froide, puis par la Gates (qui s'est inspirée de la première pour sa campagne anti-paludisme rappelant celle contre l'ankylostomiase), mais reste active en 2022.
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Références :
Jean-François Picard, La Fondation Rockefeller et la recherche médicale, PUF, 1999.
Ludovic Tournès, « La fondation Rockefeller et la naissance de l'universalisme philanthropique européen », Critique internationale, 2007/2 (n° 35), p. 173-197.
Pour citer cet article : Nicolas Truffinet, « Fondation Rockefeller », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.