Roch-Ambroise Sicard est en train de donner une leçon lors de la visite du pape Pie VII en 1805. L'Institut National des Sourds-Muets, Paris : lors de la visite du Pape Pie VII. Aquatinte avec gravure par Marlé d'après lui-même, 1805, (Wellcome Collection).
Né en 1742 à Fousseret près de Toulouse et ordonné au sein de la congrégation des prêtres de la doctrine chrétienne en 1770, il est nommé en 1786 directeur de l’école des sourds-muets de Bordeaux par Champion de Cicé (1735-1810) qui devient son protecteur. Pendant trois ans, il perfectionne sa méthode d’instruction en formant notamment son élève Jean Massieu (1772-1846), jeune sourd alors âgé de 13 ans. La mort de l’abbé de l’Épée le 23 décembre 1789 lui permet d’espérer prendre sa succession à la direction de l’école de Paris.
Grâce à un concours organisé par son protecteur Champion de Cicé, récemment nommé Garde des Sceaux, Sicard peut présenter ses résultats obtenus avec Jean Massieu et parvient à s’imposer à la tête de l’école de Paris en étant nommé premier instituteur de l’établissement le 6 avril 1790. Il s’attache alors à faire reconnaître l’ancienne école fondée par l’abbé de l’Épée comme une institution utile à la société et nécessitant donc une prise en charge par l’État. Le 21 juillet 1791, un premier décret place l’institution sous protection de l’État, attribue une rémunération aux instituteurs et prévoit le financement par l’État de vingt-quatre bourses pour financer l’éducation d’enfants sourds indigents.
Très influencé par le sensualisme de Condillac, Sicard considère que ce sont les sensations qui sont à l’origine de l’entendement et qu’il faut avant tout faire l’expérience des choses avant de pouvoir en comprendre le sens, et d’apprendre le signe correspondant. Il organise à ce titre régulièrement des sorties avec les jeunes dans la nature ou dans des ateliers, ce qui lui permet de montrer les objets et les toucher. Il fonctionne aussi régulièrement avec des nomenclatures pour expliquer les relations entre les objets (par exemple : habit-tailleur-ciseaux). Sa théorie des signes est particulièrement complexe et rend difficile l’usage pour les jeunes sourds qui développent entre eux leur propre langage.
S’il a pu se montrer, au moins pour être nommé à la direction de l’Institut, un partisan modéré des transformations révolutionnaires, Sicard se révèle rapidement fervent adversaire des mesures prises en matière religieuse par l’État révolutionnaire. Farouche opposant au serment que doivent prêter les membres de l’Église à la Constitution civile du clergé adoptée par l’Assemblée constituante en juillet 1790, son positionnement devient suspect dans un contexte de tensions grandissantes nourries par l’entrée en guerre de la France en avril 1792 et par l’abolition de la royauté après la prise des Tuileries et l’arrestation de la famille royale le 10 août 1792. La position publique de Sicard se fragilise. Incarcéré comme prêtre réfractaire en août à l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, il réchappe de peu aux massacres de septembre, sauvé par un citoyen qui l’aurait reconnu comme l’instituteur des sourds et muets. Un an plus tard, Sicard est de nouveau inquiété et arrêté par le comité de Salut public le 13 octobre 1793. À nouveau, c’est grâce à son statut et à sa renommée en tant qu’instituteur des sourds-muets que Sicard parvient à se faire libérer deux mois plus tard, soutenu par ses élèves qui ont rédigé une pétition pour demander sa libération.
Dès lors, si l’Institut des sourds-muets de Paris reste sous protection de l’État, il devient l’objet d’une surveillance accrue par les autorités qui considèrent peu à peu l’établissement comme un véritable refuge de prêtres réfractaires. Assurer la stabilité et la pérennisation de l’institution devient alors vital pour Sicard et ses collègues. La situation financière de l’établissement est particulièrement difficile à l’automne 1794 et incite la Convention thermidorienne à prendre des mesures. Le décret du 16 nivôse an III (5 janvier 1795) place sous la tutelle du ministère de l’Intérieur l’institution dirigée par Sicard et marque ainsi véritablement le début de l’institutionnalisation et de la prise en charge, sur le long terme, de cet établissement par la Nation.
Sicard se sert de cette nouvelle stabilité institutionnelle pour diffuser sa méthode et s’imposer dans le champ scientifique du Directoire. Il est nommé professeur de grammaire à l’École normale supérieure de l’an III, une institution créée pour former les professeurs et instituteurs de la République, puis devient membre de l’Institut national des sciences, lettres et arts. Néanmoins, sa position anti-républicaine le rattrape après le coup de force républicain du 18 fructidor an V (5 septembre 1797) qui suit la victoire des royalistes aux élections du printemps et qui marque le retour des mesures contre les prêtres réfractaires considérés comme une menace pour la république du Directoire. Figurant sur la liste des proscrits pour son implication dans les Annales catholiques, journal considéré comme contre-révolutionnaire, et donc menacé de déportation, il s’exile et se cache dans les faubourgs parisiens pendant deux ans. Durant son absence, la direction de l’Institut des sourds-muets est confiée à l’abbé Louis François Joseph Alhoy (1756-1826).
La nouvelle séquence politique qui s’ouvre avec le coup d’État de Bonaparte à la fin de l’année 1799 permet à Sicard de se libérer de toute menace politique et de reprendre sa place en tant que premier instituteur des sourds-muets. Il a alors profité de son exil pour rédiger un ouvrage de méthode pour instruire les jeunes sourds et l’utilise pour retrouver une notoriété et s’assurer une légitimité. Sa relation avec Pierre-Louis Roederer (1754-1835) lui permet de réintégrer l’établissement au début de l’année 1800. Il rejoint également la Société des Observateurs de l’Homme, fondée en décembre 1799, qui entend développer une science générale de l’Homme. Sicard espère ainsi reconquérir la scène savante et intellectuelle parisienne. La découverte d’un enfant dit « sauvage » dans les forêts de l’Aveyron, bientôt nommé Victor, apparaît alors comme une opportunité pour l’instituteur en quête de légitimité. Victor est amené à l’Institut de Paris et devient l’objet d’étude du médecin Jean-Marc-Gaspard Itard (1774-1838), récemment recruté, et également membre de la Société des Observateurs. Sicard profite de la légitimité et de la publicité que lui apporte l’affaire de l’enfant sauvage pour renforcer sa position au sein de l’institution. Il y établit un règlement qui impose, comme exclusive, sa méthode pédagogique aux dépens de ses concurrents et prend la tête du conseil de surveillance récemment formé. En février 1805, la visite de l’établissement par le pape Pie VII offre un rayonnement international à l'institution et à son directeur. Sicard se maintient alors à la direction de l’école sans difficulté jusqu’à sa mort le 10 mai 1822.
La vie de Sicard est ainsi intrinsèquement liée à celle de l’Institut des sourds-muets de Paris, devenu institution nationale en 1791, et toujours en activité aujourd’hui.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Infirmes - Surdité et eugénisme - Thérèse de Carthagène
Références :
Jean-Luc Chappey, La Société des Observateurs de l’Homme 1799-1804, Paris, Société des Études Robespierristes, 2002.
Pauline Teyssier, Citoyenneté, intégration, Révolution. L’Institut de Paris ou la prise en charge des sourds-muets par l’État, 1791-1810, Mémoire de Master 2, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2017.
Pour citer cet article : Pauline Teyssier, « Roch-Ambroise Sicard », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.