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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

La saignée

« Les Carmélites à l'infirmerie » par Guillot. Huile sur toile, école française du XVIIIe siècle, 1770.

Pendant des siècles, la saignée a été considérée comme la panacée pour traiter divers maux, mais depuis le début du XVIIIe siècle, elle a fait l'objet de remises en question.

 

   Depuis l'antiquité le sang était associé à la vie mais également à la mort. La saignée, connue aussi sous le nom de phlébotomie, était une pratique thérapeutique ancienne, qui remontait à l'antiquité. Elle est signalée dès l’époque d’Hippocrate(Ve siècle avant n.e.) et s’articule avec la théorie des humeurs (le sang, la bile jaune, la bile noire et le phlegme). Puis, les connaissances sur celle-ci ont été élargies grâce aux écrits de Galien (2e siècle après n.e.) qui considère cette pratique comme un remède universel capable d'équilibrer les humeurs du corps. Ce mode de traitement traverse ensuite toutes les époques et son apogée se situe plus particulièrement au XVIe et XVIIe siècle, époque durant lesquelles on saigne au sujet de presque toutes les maladies. Cependant cette pratique a perdu de sa popularité à mesure que les connaissances médicales ont progressé et que de nouvelles approches ont été adoptées.

 

   La saignée était une pratique effectuée par un chirurgien ou un barbier-chirurgien. Il fallait effectuer une incision, souvent par ventouse ou même par scarification, pour éliminer  « le mauvais sang ». Le liquide qui s'écoulait était collecté dans un récipient spécialement prévu à cet effet, souvent appelé une palette. On pouvait répertorier une cinquantaine de lieux de prélèvement comme les veines du pli du coude, les pieds, l'oreille ou même le visage. Selon Hippocrate, la pratique devait être réalisée en controlatéral, c’est-à-dire à l'opposé de l'endroit affecté, alors que pour le professeur Pierre Brissot, il fallait que la saignée soit homolatérale, c’est-à-dire du même côté où est affecté le site, dans l'objectif d'entraîner des résultats plus favorables.

 

 Cependant, les avancées du médecin William Harvey, en 1628, sur la circulation sanguine et les progrès scientifiques ultérieurs avaient remis en question la validité de la théorie des humeurs et, par extension, les bases de la pratique courante de la saignée. En parallèle, des inquiétudes médicales émergeaient, les médecins commençant à se soucier des effets indésirables liés à cette intervention. Certains étaient relativement mineurs, tels que des hématomes, des infections ou des blessures aux tendons. Tandis que d'autres, étaient beaucoup plus graves, entraînant des malaises voire la mort. Des cas sont mémorables, tels celui de George Washington, premier président des États-Unis, atteint d'un syndrome grippal et auquel près de 4 litres de sang furent prélevés en trois jours, soit quasiment la totalité de sa masse sanguine. Sa mort en 1799 avait mis en lumière ces risques significatifs.

 

   Malgré ses remises en cause encore ponctuelles, la saignée persistait dans le domaine médical. L'un des adeptes les plus connus était le médecin Benjamin Rush, l'un des pères fondateurs des États-Unis, qui croyait fermement aux bienfaits de la saignée. En effet, surnommé « le Prince des Saignées », ce dernier pouvait prélever le sang de ses patients jusqu'à 80%. Selon lui, cette pratique pouvait soulager la pression sur le cerveau et améliorer la circulation sanguine. D'autres comme François-Joseph-Victor Broussais, médecin français du XIXe siècle qui avait développé la doctrine de la « phlébotomie générale », soutenait que la saignée pouvait traiter les maladies en éliminant les causes inflammatoires.

 

   En revanche, des oppositions tendaient à se manifester, jugeant la pratique comme étant trop à risque. La pratique de la saignée, fortement critiquée à partir du XVIIIe siècle, amorçait son déclin au début du XIXe siècle, principalement en raison des nouvelles avancées médicales et de la remise en question de la théorie humorale. Un tournant significatif dans cette critique a été marqué par les travaux du médecin français Pierre Charles Alexandre. Louis, qui, dans son ouvrage Recherches sur les effets de la saignée dans plusieurs maladies inflammatoires, publié en 1828, avait démontré l'inefficacité, voire l'inutilité de la saignée. Philippe Pinel, l’aliéniste français était également un fervent opposant à cette pratique. Il voyait la saignée comme un traitement de la folie capable d'affaiblir les aliénés.

 

   Toutes ces réflexions ont progressivement apaisé l'engouement pour les saignées, entraînant une diminution significative et rapide de cette pratique. Cependant, la saignée n'a jamais totalement disparu, car de nos jours, elle conserve de véritables indications, notamment dans le traitement de l'hémochromatose, une accumulation excessive de fer. Peut être les excès de la saignée ont ils joué un rôle crucial dans l'émergence d'une autre avancée médicale, tout aussi complexe mais bénéfique pour la santé humaine : l'histoire de la transfusion sanguine.


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Barbier

Léandre Seuru - Le Mans Université

Références

Chantal Beauchamp, « Le sang et l’imaginaire médical, histoire de la saignée au XVIIIe et XIXe siècle », Desclée de Brouwer, Paris, 2000. 

Anne Fraisse, "Donner du sens à la saignée". Le témoignage du De medicina de Cassius Félix, Vita Latina,  2018,p.. 173-191 (www.persee.fr/doc/vita_0042- 7306_2018_num_197_1_1926).

 

Pour citer cet article : Léandre Seuru, "La saignée", dans H. Guillemain, DicoPolHiS, 2024. 

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