Pratique de la saignée sur la cheville d’un patient souffrant de goutte. Paris, BnF, Français 22532, Barthélémy l’Anglais, De proprietatibus rerum, trad. Jean Corbichon, f. 115v, gallica.bnf.fr.
En Europe occidentale, le nombre de barbiers (barberius, barbitonsor) augmente dès 1250. Si les effectifs fluctuent dans l’espace et le temps, l’activité est attestée dans les milieux urbains, auprès des princes, dans les monastères, les hôpitaux et d’autres institutions sanitaires. Au quotidien, le barbier s’acquitte de soins corporels relatifs à l’entretien des cheveux et au rasage, mais également de soins chirurgicaux. Les barbiers (nommés rasor, barbator mais aussi sanguinator, minutor, phlebotomus jusqu’en 1200) pratiquent la saignée, qu’elle soit préventive ou thérapeutique. Suivant la doctrine galénique, la phlébotomie devait soulager le corps de ses humeurs en excès ou corriger la surabondance d’une humeur localisée dans une partie du corps pour rétablir un équilibre physiologique. En principe, les barbiers n’étaient autorisés qu’à exécuter les saignées prescrites par un médecin capable d’en évaluer la pertinence. Ils collaborent aussi avec les chirurgiens dont ils partagent les interventions, non sans tensions.
Les incisions et les pansements sont intégrés à leurs prérogatives. En 1372, les barbiers de Paris défendent avec succès le droit d’opérer les apostumes (des grosseurs), les fractures, les plaies ouvertes non-mortelles et d’administrer les remèdes accompagnant leurs opérations. Ils proposent parfois des soins dentaires ou l’application de ventouses : les listes d’outils relevées par l’historien états-unien Michael R. McVaugh dans le cadre de locations de boutiques aragonaises mentionnent rasoirs, ciseaux, miroirs, bassins, ventouses et instruments pour soigner les dents.
L’orientation vers la santé s’accompagne de régulations. À Barcelone, en 1323, une ordonnance encadre les pratiques et interdit de laisser le sang à l’extérieur de la boutique : la dimension sanitaire de l’activité devient une préoccupation municipale. Au XIVe siècle, les barbiers s’organisent en métiers, défendent leurs privilèges et une dignité professionnelle ; les autorités sollicitent leur avis ou leur intervention alors que se développe l’intérêt pour la santé publique. À Bologne, la Società dei Barbieri se dote de statuts en 1320. À Paris, la Communauté des barbiers est dirigée par le premier barbier du roi qui, selon les statuts de 1371, possède un privilège de juridiction sur le métier. Les organisations se structurent aussi localement ; l’historienne anglaise Margaret Pelling signale des guildes de barbiers-chirurgiens dans au moins vingt-six villes de province en Angleterre, ainsi qu’en Irlande et en Écosse. D’un lieu à l’autre, leur fonctionnement, les champs de compétence et la proximité avec l’activité des chirurgiens connaissent des nuances.
Les métiers veillent aussi au respect des règles de l’art et confèrent le droit d’exercer. À l’issue d’un apprentissage chez un maître, l’aspirant se présente à un examen pour réaliser un chef-d’œuvre : il doit préparer les lancettes et démontrer son habileté à raser, saigner et inciser. Si des connaissances élémentaires ont pu être attendues, il est peu probable que les barbiers aient possédé des savoirs savants en pathologie ou même en physiologie. Les femmes n’étaient pas admises comme membres, mais des veuves ou des femmes isolées ont pu obtenir l’autorisation de tenir boutique ; d’autres exerçaient sans l’accord du métier.
Au plus près des patients, ces soignants répondent à la demande croissante de services thérapeutiques et renforcent leur rôle social par temps d’épidémie. Ainsi sollicités, ils ont tenté de s’élever dans la hiérarchie médicale. À partir du XVIe siècle, les barbiers de Paris s’intitulent « barbiers chirurgiens » ; cette appropriation de titre, déjà en usage à Montpellier ou Toulouse, est dénoncée comme une usurpation par les chirurgiens parisiens. De même, comme l’a montré l’historienne Danielle Jacquart, la recherche d’un appui de la faculté de médecine et, à la fin du XVe siècle, l’admission à des leçons adaptées en français sur les auteurs chirurgicaux, permettent l’accès au savoir et nourrissent les querelles corporatives.
Les collaborations avec les médecins se poursuivent à l’époque moderne. À Bologne, sous leur contrôle, un système de licence à plusieurs niveaux permet de confier aux barbiers des procédures plus ou moins complexes. Ailleurs, les rencontres avec les chirurgiens ont conduit à des unions. À Londres, où les regroupements permettent de conquérir un poids politique municipal, la Company des barbiers et le Fellowship des chirurgiens s’unissent par un acte du Parlement de 1540. En France, c’est en 1655 que les deux corps fusionnent. La déclaration royale du 23 avril 1743, obtenue par le premier chirurgien du roi, annule l’union dans une logique de distinction professionnelle ; l’exercice de la barberie est réservée aux barbiers-perruquiers-baigneurs-étuvistes chargés de l’esthétique corporelle depuis 1643. En 1745, les chirurgiens de Londres obtiennent un acte séparant les métiers de barbier et de chirurgien. Ces deux événements marquent l’effacement progressif de l’activité chirurgicale des barbiers au XVIIIe siècle.
Compléter la lecture sur le dictionnaire : Chirurgien - Apothicaire - Boite à remèdes
Références :
Danielle JACQUART, La médecine médiévale dans le cadre parisien, XIVe au XVe siècle, Paris, Fayard, 1998.
Margaret PELLING et Charles WEBSTER, "Medical practitioners", dans Charles WEBSTER (dir.), Health, Medicine and Morality in the Sixteenth Century, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1979, p. 165-235.
Pour citer cet article : Hélène LEUWERS, “Barbier”, dans Hervé GUILLEMAIN (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.