Honoré Broutelle, Apollon enseignant la peinture à Esculape. Gravure sur bois reproduite en couverture du catalogue d’exposition du Salon des médecins de 1925, Collection particulière.
Elle inaugure une longue série de manifestations qui, jusqu’en 1975, rassemble presque chaque année la « grande famille médicale », bientôt rejointe par les membres de la famille même des participants. Lieu de rencontre et de convivialité fraternelle, le Salon des médecins véhicule auprès du public l’image d’une corporation unie, jusque dans ses loisirs, par son attachement à des traditions et des valeurs « humanistes ».
En ce début du XXe siècle, le Salon des médecins n’est pas la première exposition amateur dite « corporative ». Sa création suit en effet celles d’autres associations artistiques réservées aux agents des chemins de fer, aux employés des PTT, aux professionnels de la justice, aux officiers des armées, etc. Le corps médical bénéficie cependant d’une notoriété artistique singulière. En 1905, Paul Richer, passé de la Salpêtrière à la chaire d’anatomie de l’École des beaux-arts de Paris, est reçu à l’Académie des beaux-arts. Peu après, plusieurs confrères décident de se réunir à l’occasion de dîners réguliers dits « des bicéphales », un cercle d’élite composé de médecins ayant acquis une réputation parallèle de musicien, d’artiste ou d’écrivain. Le Salon des médecins élargit ainsi considérablement le principe de cette double carrière, en offrant à ses participants une reconnaissance de leurs talents, sur le modèle des grandes expositions annuelles professionnelles.
Loin d’être un épiphénomène dans l’histoire de la profession médicale, le Salon des médecins est aussi très impliqué, à travers son premier organisateur Paul Rabier, dans l’actualité du corps médical. Auteur en 1904 d’une thèse intitulée Du rôle social du médecin, Rabier défend très régulièrement, dans la presse spécialisée, la place centrale du médecin dans la société contemporaine. En 1933, son successeur Pierre-Bernard Malet, président de l’Association des étudiants en médecine de Paris, sera lui aussi un pilier des intérêts et de l’identité de la profession.
De fait, le Salon des médecins offre une tribune de choix pour promouvoir l’idéal d’un médecin hautement cultivé, qualifié dans les années 1930 de «médecin humaniste ». L’exposition participe en effet de la généalogie d’un humanisme médical qui émerge, au tournant du XXe siècle, d’une anxiété face à un supposé délitement culturel de la profession. À la montée en puissance des sciences expérimentales et du laboratoire, s’oppose dans les débats, la tradition classique des humanités (la maîtrise des langues anciennes, l’érudition historique, ou la pratique des beaux-arts). Celle-ci apparaît comme un antidote au réductionnisme scientiste, à la spécialisation excessive et au mercantilisme. Complémentaire à l’autorité de la science moderne, elle devient la garantie d’une culture professionnelle commune et intemporelle, et assure la préservation d’un « art de la médecine ». Le Salon des médecins participe ainsi au XXe siècle d’un phénomène plus large de promotion des qualités humanistes et artistiques des professionnels de la médecine. Ce phénomène, soutenu financièrement par les laboratoires pharmaceutiques, est d’ailleurs illustré au même moment par l’essor de la figure du « médecin littérateur », étudié en détail par Martina Díaz Cornide et Alexandre Wenger.
L’initiative parisienne n’est pas isolée. D’autres expositions comparables s’organisent en effet à Lyon, Marseille, Toulouse ou Alger. Les associations artistiques de médecins se multiplient également à l’étranger, à tel point qu’en 1950 se tient à Paris le « Premier Salon international des médecins ». Ce dernier accueille des délégations venues de Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de Suisse, mais aussi d’Argentine, de Cuba, du Mexique. L’Égypte, la Hongrie, l’Italie et l’Uruguay devaient même originellement être de la partie.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Salon des médecins de Paris, le plus ancien parmi ses homologues internationaux, acquiert une stature symbolique relative. Il est alors hébergé chaque année par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, aux côtés d’autres salons artistiques, amateurs et professionnels. Très vite cependant, la récupération des locaux au profit des collections et des activités du musée restreint de plus en plus l’espace disponible pour ces expositions indépendantes. En 1971, un comité composé de représentants des artistes professionnels finit par écarter définitivement du musée les expositions d’amateurs, dont le Salon des médecins. Relogé à la mairie du IVe arrondissement, le Salon des médecins y vivra ainsi ses dernières années, à la périphérie des mondes de l’art.
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Références :
Hadrien Viraben, « Paris Salon des Médecins (1909-1939) : Amateur Art and Professional Culture », in European Journal for the History of Medicine and Health, 2023.
Martina Díaz Cornide et Alexandre Wenger, « Henri Mondor et la revue Art et Médecine : construction de l’idéal du “médecin littérateur” dans les années 1930 », in Julia Pröll, Hans-Jürgen Lüsebrink, et Henning Madry (dir.), Médecins-écrivains français et francophones : imaginaires, poétiques, perspectives interculturelles et transdisciplinaires, Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, 2018, p. 99-116.
Pour citer cet article : Hadrien Viraben, « Salon des médecins », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.