"La visite du médecin", gravure sur bois, Lamy Eugène, Montigneul, s.d., collection BIU Santé Médecine.
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il n’existe qu’un seul signe pouvant prouver avec certitude la mort d’une personne, la putréfaction. Toutefois, on ne l’attendait pas pour inhumer les défunts pour des raisons sanitaires, et on lui préférait d’autres méthodes moins certaines comme celle du miroir ou de la plume placée devant la bouche afin de détecter la respiration. Certains médecins comme Bruhier d’Ablaincourt ou encore Antoine Louis, membre de l’Académie royale de chirurgie, contestent la fiabilité de ces signes. Ce dernier établit par exemple quelques signes pouvant prouver la mort comme la rigidité cadavérique ou la flaccidité de l’œil.
Le code civil, promulgué en 1804, impose à travers ses articles 77 et 78 la constatation de la mort par un officier d'état civil et un délai de 24 heures à partir du décès avant de procéder à l’inhumation. Cette vérification par les officiers d’état civil est largement débattue car ces derniers n’ont aucune formation médicale, ce qui rend difficile l’identification d’un signe certain de la mort. De plus, cela leur demanderait un véritable travail scientifique difficile à mettre en place - plusieurs visites, examen scrupuleux du corps, tentative de réanimation. Un système alternatif est ainsi mis en œuvre à Paris, avec la rédaction de certificats médicaux nécessaires à l’inhumation et la création en 1839 d’un service d’inspection qui supervise la production des certificats de décès. Toutefois cette organisation n’existe qu’à Paris en raison du faible nombre de médecins dans les campagnes.
Au XIXe siècle, les difficultés scientifiques pour s’assurer qu’une personne est morte restent néanmoins présentes et sont largement discutées. La recherche de ce signe donne naissance à une production scientifique considérable avec la rédaction de nombreuses thèses, mémoires, articles et traités. Par exemple, 47 livres, articles et thèses sont publiés sur ce sujet entre 1840 et 1849. Le mémoire couronné en 1848 par l’Académie des sciences est celui d’Eugène Bouchut, qui propose l’auscultation du cœur de la personne avec le stéthoscope de Laennec au lieu d’observer le souffle afin d’en déterminer la mort. Cela marque le début de la technicisation de l’examen ainsi que l’interposition de l’instrument. Par ailleurs, les médecins européens interpellent les pouvoirs publics avec plusieurs projets, comme les maisons mortuaires, qui visent à entreposer les corps en attendant leur décomposition.
Finalement, deux approches concurrentes s’affrontent durant le XIXe siècle. D’une part, les techniques d’observation du corps visent à identifier certains signes connus comme le faciès hippocratique, l’odeur exhalée, les premiers signes de rigidité ou encore le pouls. De l’autre, des examens visent à soumettre le corps à des stimulis extérieurs afin de constater l’absence de réaction : cris dans les oreilles, flacon d’ammoniac sous les narines, piqûres, brûlures, ou encore coups de tenaille sur les endroits sensibles du corps. C’est la première approche qui s’impose, tandis que la seconde est plus utilisée pour des cas plus spécifiques comme les noyades, ou sur la demande des familles. Cependant dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’expérimentation sur le corps commence à prendre une place de plus en plus importante.
Au tournant du XXe siècle, l’administration suivant les progrès scientifiques sur ces questions recommande l’utilisation de trois techniques spécifiques d’observation de la mort. Tout d’abord, l’injection de fluorescéine qui colore le corps en jaune si la personne est vivante. Ensuite, l’artériotomie consiste à ouvrir une artère afin d’observer si le sang est coagulé. Enfin l’injection d’éther en intramusculaire et son rejet par le corps est le dernier examen utilisé pour détecter la mort d’une personne. A partir des années 1960, et jusqu’à aujourd’hui, ces examens sont remplacés par l’observation de l’activité cérébrale qui permet d’établir avec une grande certitude le décès d’une personne mais qui comporte néanmoins des limites certaines, en particulier pour les personnes en mort cérébrale mais dont une partie des mécanismes vitaux fonctionne.
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Références :
CAROL, Anne, « Une histoire médicale des critères de la mort », in Communications, 2015/2 (n° 97), p. 45-55.
CAROL, Anne, Les médecins et la mort : XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 2004.
Pour citer cet article : Baptiste Ricois, « Signes de la mort », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.