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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

SPK

Entre 1970 et 1971, le Sozialistisches Patientenkollektiv (SPK) ou Collectif Socialiste de Patients s’attache à remettre en cause une vision traditionnelle de la maladie et de la santé en affirmant que les symptômes sont le résultat de l'aliénation créé par le système capitaliste.SPK - Faire de la Maladie une Arme. Texte d'agitation du Collectif Socialiste de Patients à l'Université de Heidelberg, préface de Jean-Paul Sartre, nouvelle traduction de 1995 (1e éd. française 1975), 192 p.

   Entre 1970 et 1971, le Sozialistisches Patientenkollektiv (SPK) ou Collectif Socialiste de Patients s’attache à remettre en cause une vision traditionnelle de la maladie et de la santé en affirmant que les symptômes sont le résultat de l'aliénation créé par le système capitaliste.

   La psychiatrie en RFA après la Seconde Guerre mondiale est marquée par son passé récent, et notamment sa participation aux politiques eugénistes du IIIe Reich, qui ont conduit à l’élimination et à la stérilisation de milliers de malades mentaux et physiques. La persistance dans les institutions psychiatriques de médecins ayant pratiqué au cours de la période nazie explique que la psychiatrie soit parfois vue comme un levier de contrôle et d'oppression des populations. La RFA est donc un terrain propice à l'expérimentation psychiatrique, surtout lorsque l’aspiration au changement dans le soin rencontre les nouvelles tendances de la contre-culture des années 1960. 

 

   Le SPK est créé en 1968 à l’initiative du docteur Wolfgang Huber. Il regroupe 52 patients psychiatriques d’un service intra-hospitalier ordinaire de la polyclinique de l’université d’Heidelberg. Wolfgang Huber, qui rassemble patients et médecins autour d’une thérapeutique nouvelle, est influencé par l'apport croisé de la psychanalyse et du marxisme en particulier les idées de Wilhelm Reich. Dans ce cadre, la maladie est interprétée comme la réaction inconsciente du corps à une oppression. La maladie mentale produite créée par le capitalisme est aussi un obstacle pour celui-ci puisqu'il empêche la poursuite du travail des prolétaires. L’oppression du système capitaliste se repère dans la maladie et ses symptômes ainsi que par la nature des professionnels censés les soigner. C'est pourquoi le SPK concentre sa critique sur la médecine, qui échappe trop souvent à la critique puisqu’elle  passe pour une science apolitique. C’est à partir de cette analyse que le SPK ajoute l’appareil de santé aux principes et institutions qui pérennisent un système d’oppression. Le médecin est considéré par le SPK comme un agent du capital et la maladie un fait politique, causée par le travail.

 

   La maladie étant ainsi présentée comme la limite interne du capitalisme, elle est perçue comme le terrain révolutionnaire par excellence. En devenant une possibilité de protestation, le SPK peut faire de la maladie une arme, comme le titre de son manifeste de 1973 l’indique : Faire de la maladie une arme. Le collectif du docteur Huber procède à un retournement de la fonction médicale qui se concrétise par plusieurs principes : la remise en cause du fonctionnement traditionnel de l’établissement psychiatrique ; la collectivisation des connaissances du praticien ; la mise en place d’un système égalitaire dépassant la séparation entre malades et personnel soignants. Ainsi le SPK instaure de nouvelles formes thérapeutiques où les problèmes de chacun sont collectivement examinés. Il ne s’agit pas seulement d’obtenir de meilleures conditions de vie aux malades mais de remettre profondément en cause le fonctionnement de l’institution psychiatrique en incluant les malades dans les processus de décisions. Cette nouvelle médecine doit avant tout servir les patients, elle est basée sur un apprentissage conjoint et réciproque, entre le malade et le patient.

 

   L'expérience d’Heidelberg est qualifiée “d’équivalent en psychiatrie, de la Commune de Paris sur le plan des luttes prolétariennes” par le psychanalyste et philosophe français Félix Guattari. Entre février et mars 1970, des membres du SPK entament une grève de la faim pour faire pression sur la direction de l’université de Heidelberg, suite au non-renouvellement du contrat du Dr Huber.  En juillet, le collectif occupe le rectorat de l’université, quelques jours plus tard, son conseil d'administration institutionnalise le SPK en tant qu'organisation autonome à l'université.

 

   La psychiatrie universitaire à Heidelberg est aussi marquée par la présence de médecins ayant participé à l’euthanasie des malades mentaux durant le nazisme, à la fin des années 1960 au moins quatre anciens SS y travaillent. Le psychanalyste Florent Gabarron-Garcia, dans son Histoire populaire de la psychanalyse, suppose que la répression subie par le SPK, dont l’entreprise politique et révolutionnaire est crainte par le gouvernement, est liée à la préservation de cadres du nazisme au pouvoir. De plus, dans le contexte de la Guerre Froide et de la lutte contre le communisme, cette expérience à entraîné une forte répression policière et politique. En septembre 1970, le Ministère de l’Éducation veut faire évacuer les locaux du SPK par décret. La répression se fait plus forte et plus violente l’été suivant. En juillet 1971, le SPK est soupçonné de soutenir les actions du groupe Fraction armée rouge. Après une fusillade liée à des groupuscules d'extrême gauche, perquisitions et arrestations se multiplient. De nombreux membres du SPK sont emprisonnés et torturés, plusieurs procès visent des acteurs du collectif, qui compte alors près de 500 membres. Le docteur Huber perd son droit d’exercer la médecine, lui et sa femme sont condamnés à plusieurs années de prison. Cette époque correspond à une période de renforcement sécuritaire de la RFA que certains qualifient “d’Automne allemand” (1977). En 1973 le docteur Huber, alors en prison, appelle à la recréation du SPK sous le nom de Front des Patients.

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Révolution tranquille - Appartements thérapeutiques  - Asile

Amaury Lesoueve - Le Mans Université

Références :

Florent Gabarron-Garcia, « “Faire de la maladie une arme : l’expérience d’Heidelberg”. Pour une histoire populaire de la psychanalyse 3 », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, n°114-115, 2017, p.189-206

S.P.K., Faire de la maladie une arme, Paris, Éditions Champ Libre, 1973.

 

Pour citer cet article : Amaury Lesoueve, “SPK”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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