Logo DicoPolHiS
DicoPolHiS

Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Tératologie

La tératologie, science des monstres au XIXe siècle, est aujourd’hui une branche de la biomédecine cherchant à élucider les causes des malformations qui touchent toutes les populations, comme dans la récente affaire des « enfants sans bras ».Nicolas-François Regnault, Les Écarts de la nature, ou Recueil des principales monstruosités que la nature produit dans le genre animal, BnF, 1775.

   La tératologie, science des monstres au XIXe siècle, est aujourd’hui une branche de la biomédecine cherchant à élucider les causes des malformations qui touchent toutes les populations, comme dans la récente affaire des « enfants sans bras ».

 

   Cet intérêt pour la figure du monstre n’est pas nouveau. La question même du monstre est liée à un vaste corpus iconographique et littéraire disséminé dans le temps et les espaces humains. Des Rakshasa de l’Inde aux commentaires de Pline ou de Montesquieu, le monstre est un état de fait. Si la figure est plutôt plastique, ceux qui considèrent le monstre sont eux assez stables dans leur interprétation. Le monstre est la manifestation d’un ordre supérieur, divin et sa place dans la société est donc paradoxale puisqu’elle oscille entre répulsion et fascination.

 

   C’est au XIXe, siècle avec « l’invention » de la médecine scientifique, que ce schéma évolue. De manière générale, le monstre est désacralisé. Cette lente réintroduction du monstre dans l’ordre naturel est perceptible dans différents travaux. En 1775, Nicolas-François Regnault et Geneviève Regnault publient ainsi un catalogue des principales monstruosités comprenant des gravures commentées, ce qui constitue un premier effort savant de démystification. La pente naturaliste de l’explication du monstrueux se renforce. En 1819, est publié le Dictionnaire médical de Panckoucke dans lequel on trouve par exemple l’article « monstre » de Julien Joseph Virey, médecin vitaliste, naturaliste et anthropologue, qui explique la monstruosité dans la nature. Pour le savant, la Nature n’est autre que l’expression de la création de Dieu et rien ne peut donc exister en dehors d’elle. De ce fait, le monstre est vu comme un être naturel, mais corrompu par les vices et les abus de l’humanité qui ont vicié le germe naturel divin. 

 

   Cette nouvelle façon de penser le monstre trouve sa manifestation la plus visible dans les travaux et les œuvres d’une même famille, les Geoffroy Saint-Hilaire. Le premier, Étienne, est un naturaliste qui s’intéresse principalement à la zoologie. Selon lui, le monstre est une forme d’humanité qui diffère, mais qui reste un type d’humanité. Cependant, c’est son fils Isidore qui va véritablement consacrer la discipline de la tératologie, notamment avec la publication du Traité de Tératologie en 1837. Il pense qu’il faut réintégrer dans la grande catégorie de l’humanité toutes les monstruosités non-exceptionnelles. Il opère donc une division de l’humanité dans laquelle il incorpore des cas monstrueux. Cette sécularisation du monstre à un corollaire, si le monstre relève du profane, qu’il peut être « réparé ». L’objectif pour la médecine devient donc de rendre le monstre « normal » afin de pouvoir le faire rentrer dans l’ordre des choses. Ces tentatives de restauration s’appuient sur la chirurgie en progrès. Entre les essais d’un Charles Bovary qui tue son patient dans le roman de 1857 et la première séparation d’enfant siamois en 1901 par le chirurgien Chapot-Prevost, l’asepsie et la sédation, les avancées sont considérables.

 

   Malgré cela, le XXe siècle est encore largement marqué par le diptyque attraction-répulsion. Depuis le XVIIIe siècle existent en effet des lieux consacrés aux bizarreries du monde et les malformations et difformités humaines en font partie. Ces entreprises marchandes relèvent du monde forain et du spectacle. Entre les cirques, les Dime Museum, les zoos humains et les simples roulottes, le monstre attire les spectateurs. Il est possible d’y voir des femmes à barbe, des géants, des Lilliputiens, des siamois et autres « monstruosités ». Les conditions de vie pour ces « artistes » sont souvent atroces, néanmoins, le hasard peut faire sortir certains d’entre eux de la pure exploitation, comme Joseph Merrick surnommé « Elephant Man ». Il est contraint de se produire dans ces spectacles jusqu’à ce que sa condition émeuve la reine Victoria, ce qui lui permet de rejoindre une institution de soin. La volonté d’exposer ces monstres n’est d’ailleurs pas limitée au monde du spectacle. Médecins et scientifiques ont également mis en scène patients et techniques. Ainsi, Albert Geoffroy Saint-Hilaire, de la troisième génération, organise des zoos humains où sont enfermés des individus à la merci du regard des visiteurs. La chirurgie réparatrice connaît aussi ses vedettes comme le très médiatique Eugène Doyen. Chirurgien mondain, il fait filmer une de ses opérations en 1902 consistant à séparer des siamoises, ce qui fait la une de la presse.

 

   Si la fin du siècle voit une certaine amélioration de la vie des « monstres », leur exposition étant interdite en Angleterre en 1885, le processus d’humanisation est long et la question du sort des personnes « différentes » a connu au XXe siècle des épisodes dramatiques.

 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Céroplastie - Consanguinité



Lucile Humblot - Le Mans Université

Références : 

Régis Bertrand et Anne Carol (dir.),  « Le « monstre » humain ; imaginaire et société », Revue d'histoire du XIXe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2005.

Didier Manuel (dir.), La figure du monstre ; Phénoménologie de la monstruosité dans l’imaginaire contemporain, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2009.

 

Pour citer cet article : Lucile Humblot, "Tératologie", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023. 



Partagez :