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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Vent du boulet

Les guerres de la Révolution et de l’Empire confrontent les médecins militaires à une variété de blessures qu’ils ont parfois du mal à déterminer. Le « vent du boulet » en fait partie.Charles Meynier, Retour de Napoléon sur l’île de Lobau après la bataille d’Essling, le 23 mai 1809, 1812, Château de Versailles.

   Les guerres de la Révolution et de l’Empire confrontent les médecins militaires à une variété de blessures qu’ils ont parfois du mal à déterminer. Le « vent du boulet » en fait partie.


   Le « vent du boulet » est une notion utilisée par les médecins des armées napoléoniennes pour désigner deux types de blessures, l’une physique, l’autre psychique. Les chirurgiens observent des cas de soldats dont la mort a été provoquée par le seul effleurement d’un boulet de canon, sans aucune lésion apparente. Si le boulet était en fin de course ou a ricoché, le soldat effleuré n’est alors qu’assommé, mais une fois revenu à lui, il se plaint de douleurs vagues et meurt souvent dans les jours suivants. En revanche, si le boulet est passé à pleine vitesse, le soldat est tué sur le coup. Interpellés par ces morts sans lésions extérieures, les médecins napoléoniens pratiquent des autopsies et constatent avec surprise que ces corps d’apparence intacte présentent des fractures osseuses et des atteintes viscérales. Nicolas Heurteloup, chirurgien en chef de la Grande Armée de 1808 à 1812, rapporte un de ces cas : « Le signal du combat est donné, le canon se fait entendre, le boulet part, un homme foudroyé tombe mort sur le champ de bataille, on l’enlève, on l’examine avec soin, on ne trouve aucune marque extérieure de blessure et l’on dit que le vent du boulet l’a tué. Cependant on veut connaître l’état de la poitrine, on l’ouvre. Tout présente l’effet d’une commotion extraordinaire, les poumons sont dilacérés, il y a un épanchement de sang considérable, les muscles sont désorganisés… »

   Pour la majorité des observateurs, ces lésions internes sont provoquées soit par le déplacement d’air, soit par la force du projectile. Mais la notion fait débat. Dominique-Jean Larrey, figure médicale la plus célèbre du Premier Empire, réfute la théorie du « vent du boulet », considérant que seul le contact direct entre le boulet et le corps peut tuer un homme, la commotion ne pouvant se faire à distance. 


Cette notion de « vent du boulet » peut aujourd’hui être apparentée à ce que les médecins appellent « l’effet de blast » (ou effet de souffle) : le processus pathologique induisant des lésions dans un organisme qui a été exposé à une onde de choc au cours d’une explosion. Les moyens vidéos actuels montrent le puissant souffle qui se propage au moment de l’explosion du boulet hors de l’âme du canon. Certains médecins militaires de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle avaient ainsi décelé les effets provoqués par le déplacement d’air. L’autre aspect de cette notion est cette fois d’ordre psychique. De nombreux médecins des guerres de la Révolution et de l’Empire utilisent également le terme de « vent du boulet » pour désigner les états de sidération et de stupeur aigu déterminés par la frayeur d’avoir senti passer le projectile de près sans avoir été blessé. Le chirurgien Larrey cite par exemple le cas d’un soldat qui, effleuré par un boulet à la bataille de Wagram, tombe au sol privé de la parole et demeure complètement muet.


   La peur intense éprouvée par les soldats les plonge dans un état confusionnel post-émotionnel qui peut se caractériser par l’hébétude, la désorientation, la stupeur, le délire, les tremblements ou une forte anxiété. Le baron Marbot évoque cet état de stupeur à la bataille d’Eylau, après qu’un boulet lui ait frôlé la tête : « Je fus comme anéanti mais ne tombai pas de cheval. […] j’entendais encore, je voyais, je comprenais et conservais toutes mes facultés intellectuelles, bien que mes membres fussent paralysés au point qu’il m’était impossible de remuer un seul doigt ! ». Il ne recouvre l’usage de ses membres que trente-six heures plus tard. Au XVIe siècle, le médecin Ambroise Paré évoquait déjà des cas de soldats dont la mort avait été provoquée par la frayeur intense engendrée par les détonations. Les médecins napoléoniens, observant de nombreux cas de symptômes confusionnels et stuporeux, poursuivent ainsi ces constatations sur l’impact de la brutalité de la guerre sur la psyché des combattants. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le terme de « vent du boulet » est encore utilisé pour désigner les troubles psychiques du combat. On le retrouve par exemple dans le Traité de chirurgie d’armée de Legouest en 1872. Lors de la Première Guerre mondiale, période de commencement d’une prise en charge des soldats traumatisés, on parle au début de « syndrome du vent de l’obus » ou de « vent de l’explosif », dans la ligne directe du « vent du boulet » de l’époque napoléonienne. L’interrogation entre l’effet des armes et celui des soldats choqués se poursuit durant le siècle sous des formes diverses :  « obusite », « hypnose des batailles », « confusion mentale de guerre », « exhaustion », « réaction de combat », ou syndrome de stress post-traumatique (ou PTSD) que nous connaissons aujourd’hui.


   Le « vent du boulet », notion désignant des blessures à la fois physique et psychique lors des guerres napoléoniennes, constitue ainsi un des objets sur lesquels la psychiatrie militaire va ensuite réfléchir.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Obusite - Gueules cassées 

 

Laurine Drut - Doctorante en histoire contemporaine - Université de Bourgogne

Références :

Louis Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob, 1999.

François Houdecek, Vivre la Grande Armée : être soldat au temps de Napoléon, Paris, CNRS Éditions, 2023, p. 205-207.

Pour citer cet article : Laurine Drut, « Vent du boulet », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

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