Logo DicoPolHiS
DicoPolHiS

Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Verdunisation

Au début du XXe siècle, les épidémies liées à une eau potable impropre sont assez courantes et la purification de l’eau constitue pour les municipalités un enjeu primordial de santé publique. "M. Justin Godart boit de l'eau verdunisée", Le Matin, 30 juillet 1932

Au début du XXe siècle, les épidémies liées à une eau potable impropre sont assez courantes et la purification de l’eau constitue pour les municipalités un enjeu primordial de santé publique. 

 

    Avant 1914, une technique de purification de l’eau appelée « javellisation » est en service partout, y compris dans l’armée. Cette technique consiste à incorporer 1 à 4 mg de chlore par litre d’eau, puis à laisser décanter l’eau durant 4 à 6 heures, après quoi l’on y ajoute de l’hyposulfite de sodium afin de supprimer le chlore en excès. Elle nécessite donc plusieurs produits et plusieurs heures de préparation, pour finalement laisser dans l’eau un fort goût amer qui la rend peu agréable à la consommation. 

 

   En 1916, sur le front de Verdun, le colonel Philippe Bunau-Varilla, ingénieur polytechnicien, met en application sa nouvelle méthode de purification appelée « verdunisation ». Celle-ci utilise beaucoup moins de chlore - seulement 0,1 mg par litre d’eau - et préconise une agitation constante et vigoureuse pendant plusieurs minutes du volume d’eau à traiter. Cette méthode a l’avantage d’être plus rapide, plus économe en chlore et de ne plus laisser de goût désagréable dans l’eau. Dès janvier 1917, elle est mise en place sur 125 stations d’eau du front de Verdun.

 

    L’application au domaine civil se fait après la guerre. En 1923, elle est instaurée à Reims sur demande d’un médecin, le docteur Téchoueyres. Une note sur la verdunisation est rédigée à l’attention de l’Académie des Sciences et une communication est donnée à l’Académie de Médecine l’année suivante. Avant 1929, 17 villes françaises sont équipées de ce procédé de purification : en 1930, ce nombre passe déjà à 60.

 

    La verdunisation devient un enjeu politique à la fois pour les municipalités mais aussi pour son inventeur. Bunau-Varilla reçoit en effet de la ville de Carcassonne le titre de « bienfaiteur de la ville ». Par le biais du journal Le Matin, dans lequel son frère Maurice a investi et dans lequel il possède lui-même des actions, Philippe Bunau-Varilla met en place un véritable système de propagande à travers des articles scientifiques. Entre 1927 et 1944, ce ne sont pas moins de 231 numéros dans lesquels le mot de « verdunisation » est mentionné et le plus souvent à la une (comme le montre cet exemple datant de 1933). L’inventeur n’hésite jamais à rappeler le fait qu’il n’a jamais fait breveter son invention et qu’elle est donc dans le domaine public.

 

    Afin de médiatiser son procédé, Philippe Bunau-Varilla va notamment exploiter le cas de l’épidémie de typhoïde de Lyon. La verdunisation est mise en place à Lyon au début de l’année 1929 alors que la ville est frappée par cette maladie depuis l’automne 1928. Le colonel  utilise cet exemple pour démontrer l’efficacité de sa méthode face aux épidémies dues à une eau impropre. Cependant, il se garde bien de mentionner qu’au moment de la mise en place, l’épidémie est contenue depuis plus de deux mois et que seuls quelques points d’eau sont contaminés. Pourtant, la propagande pro-verdunisation va utiliser cet exemple à de nombreuses reprises.

 

    La verdunisation, acclamée par nombre de scientifiques, médecins et politiciens, devient un objet politique. De nombreuses expériences complémentaires sont effectuées pour tenter d’expliquer comment une quantité si infime de chlore suffit à purifier l’eau. C’est notamment un des points que les opposants à Bunau-Varilla vont exploiter pour forger leur critique. Frédéric Diénert, chef du service des eaux de la ville de Paris et fervent tenant de la chloration, critique aussi la manière dont le polytechnicien utilise le cas de l’épidémie de typhoïde de Lyon pour mettre en avant son procédé salvateur de purification. Bunau-Varilla lui répond à son tour dans ses écrits, le jugeant responsable de la non-application de sa méthode à Paris, ce qui aurait pu, selon lui, inciter Lyon à adopter de même cette méthode.


    Face à cette attaque, Philippe Bunau-Varilla bénéficie de plusieurs soutiens, comme celui du député-maire de Villeurbanne, Lazare Goujon, qui préconise la généralisation de sa méthode partout en France et veut même la rendre obligatoire. Il dépose le 13 juin 1929 un projet de loi, qui est appuyé par le journal Le Matin, soutien du gouvernement de Raymond Poincaré alors en place, mais sans succès. Goujon lance une nouvelle campagne en 1933 qui échoue également, puisque aucun de ces projets ne sera jamais discuté au Parlement. Le projet de rendre la verdunisation obligatoire partout en France est alors abandonné, comme l’illustre la loi sur la santé publique de 1935, qui laisse le choix de la méthode d’épuration aux autorités des localités concernées.

 

Prolonger la lecture sur le dico : Phosphorisme - Evian

Gabin Dubuisson - Le Mans Université

Références :

Stéphane Frioux, « La verdunisation ou le rêve inachevé d’un inventeur patriote »Les batailles de l'hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Presses Universitaires de France, 2013, p. 299-314.

Jacques Sarazin, « Les médecins et la bataille de Verdun 21 février - 16 décembre 1916. [Medical officers and battle of Verdun.] », Histoire des sciences médicales, 2002, vol. 36 (2), p. 131-146.

Pour citer cet article : Gabin Dubuisson, "Verdunisation", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

Partagez :