Affiche de Maurice Biais (1872-1926), Quinquina Vouvray au vin blanc, apéritif exquis, 1925, © BnF.
En 1911, un court métrage muet d’une quinzaine de minutes met en scène la consommation de vin de quinquina du cinéaste Max Linder dans une série de saynètes humoristiques. Manifestation de la place qu’occupe cette boisson dans la société française d’alors, le film illustre à la fois l’origine thérapeutique de la boisson, ses effets revigorants et enivrants et les dérives qu’elle occasionne comme en témoigne le titre Max victime du quinquina.
L’écorce de quinquina, un arbuste originaire d’Amérique du Sud, est introduite puis diffusée en Europe au cours du XVIIe siècle, notamment grâce au médecin anglais de Louis XIV, Robert Talbot, qui popularise l’association de poudre d’écorce de quinquina et de vin. La première dispose de principes actifs fébrifuges, permettant de lutter contre les fièvres, le second est auréolé depuis l’antiquité de propriétés revigorantes. Leur association permet donc de fortifier l’organisme et c’est en ce sens que les apothicaires puis les pharmaciens la commercialisent dans les deux siècles qui suivent. L’un d’entre eux, Gilbert Seguin, maître en pharmacie parisien, acquiert même une renommée nationale grâce à son « vin fébrifuge et stomachique » qu’il commercialise à compter des années 1800 et que l’on retrouve encore à la vente durant l’Entre-deux-Guerres. Le vin de quinquina, sous diverses formes, rentre alors dans le codex, les publications médicales ou les débats à l’Académie de médecine. On y loue ses effets revigorants et fortifiants, notamment pour les fonctions digestives, ainsi que son action de prévention et de lutte contre certaines fièvres. Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales d’Amédée Dechambre (1874-1889), l’entrée « Quinquina » couvre près de 80 pages et la prescription des concoctions de vin de quinquina par les médecins se généralise. Il est alors le « tonique » par excellence, panacée permettant de soigner toutes sortes de maux.
Sans surprise, un commerce lucratif voit le jour autour de sa préparation, en témoigne le succès du vin de Seguin et ses nombreuses imitations, légales ou frauduleuses. Fort logiquement, de nouveaux acteurs, extérieurs au champ médical ou paramédical, pénètrent ce courant très rentable : ce sont les marchands de vin ou les alcooliers qui, jouant sur la dimension médicinale de la boisson, investissent le marché avec une force de frappe à laquelle pharmaciens ou médecins ne peuvent résister. Le territoire français voit alors dans le dernier tiers du XIXe siècle éclore des centaines de marques commerciales qui proposent leur vin de quinquina (parfois appelé « quina » ou « kina » ; en réalité un vermouth, mélange de vin et de vin muté, aromatisé au quinquina) dans un contexte de très forte augmentation de la consommation de boissons alcoolisées et surtout l’émergence d’une nouvelle habitude sociale collective : l’apéritif. En effet, depuis les années 1860, cette forme de consommation s’est répandue dans toutes les couches urbaines de la société française, au point de devenir une « mode » dans les années 1880. Exploitant aussi des considérations médicinales, l’apéritif – du latin aperire, « ouvrir » – est censé stimuler l’appétit et devient donc un rituel, tant thérapeutique que gustatif, à l’heure du repas.
Des sociétés commerciales s’engouffrent dans la brèche, jouant sur la triple dimension apéritive, médicinale et tonique de leur vin de quinquina. Les marques Byrrh (1873), Saint-Raphaël (1890) ou Dubonnet (1893), pour citer les plus connues, inondent le marché et saturent la presse et l’espace public de publicités vantant les qualités eupeptiques, reconstituantes ou vivifiantes de leur boisson. Certaines préviennent pourtant qu’elles ne sont « pas un médicament », jouant sur une certaine ambiguïté. Avec l’interdiction de l’absinthe en 1915, le vin de quinquina devient alors l’apéritif-star en France, ce qui n’est pas sans créer de réels problèmes. En effet, dès le dernier tiers du XIXe siècle, médecins ou acteurs du mouvement antialcoolique dénoncent les excès et dérives qu’entraîne la prise régulière et abusive de vin de quinquina, sous couvert de considérations thérapeutiques. Certains mettent ainsi en exergue la vive irritation de l’estomac provoquée par une consommation régulière, d’autres stigmatisent l’alcoolisme médicamenteux qu’il propage à bas bruit. Tous condamnent les processus industriels qui dénaturent à la fois le produit et l’utilisation originels.
Pour autant, le vin de quinquina conserve une très forte popularité jusqu’au tournant des années 1970, en témoignent les reportages photos dans les bars où scintillent la couleur rubis dans les petits verres caractéristiques et les façades bordant les routes nationales, couvertes de publicité à leur gloire. Si les vertus proprement médicinales se sont peu à peu effacées, la dimension tonique reste encore dans le discours et la mémoire collective des plus anciens, pour qui un petit verre de quinquina par jour équivaut à un brevet de bonne santé et de longévité.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Vin ouvrier - Antialcoolisme - L'alcool voilà l'ennemi !
Références :
Claire Fredj, « Pour l'officine et pour l'usine. La France et le commerce du quinquina au XIXe siècle », Revue d'histoire moderne & contemporaine, vol. 66, n° 3, 2019, p. 103-127.
Stéphane Le Bras, « Les faux amis. Les vins de quinquina et le ventre », Siècles, n°53, 2022.
Pour citer cet article : Stéphane Le Bras, “Vin de quinquina”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.