Logo DicoPolHiS
DicoPolHiS

Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Vivisection

Vecellio Tiziano (1488-1576), Q, extrait de humani corporis fabrica libri septem, gravure sur bois, Université d’Amsterdam aux Pays-Bas.

En mai 1883, le professeur Brown-Séquard est agressé par une militante clamant la fin de la souffrance animale lors d’une expérience qu’il pratiquait sur un singe non anesthésié.

 

La vivisection est un terme qui apparaît dans le dictionnaire au début du XIXe siècle et désigne dans un premier temps le « nom donné à la dissection des animaux vivants ». Cette définition évolue et s’étend dans le Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l'art vétérinaire de 1865, « aux expériences faites sur les animaux vivants […] ». Ainsi, cette méthode ne se limite plus à l’incision des animaux, mais également à toutes formes de pratiques expérimentales sur eux, tel que l’injection de produits. C’est ainsi que le médecin Pihorel, pour soigner un patient mordu par un crotale, aurait eu l’idée de faire mordre un lapin par le même serpent. Ici, la pratique de vivisection repose sur l’injection de venin par le biais du reptile.

 

L’expérimentation animale n’est pas nouvelle au XIXe siècle. On peut notamment l’observer dans le livre De humani corporis fabrica libri septem, où André Vésale, anatomiste et médecin du XVIe siècle, écrit sur la pratique de l’intubation trachéale chez l’animal dans un chapitre dédié. Cela est illustré par une lettrine (lettre décorée placée en tête d’un texte pour l’illustrer) dans laquelle on peut voir la vivisection d’un porc.

 

Cette technique est en essor au début du XIXe siècle et se développe en parallèle de la démarche anatomo-clinique, mettant en relation l’observation du corps et les données anatomiques. Cette pratique nécessitant l’ouverture de l’organisme, elle favorise d’abord ce rapprochement avec l’intérieur du corps et permet ainsi aux scientifiques d’en apprendre plus sur la constitution de l’être vivant. En effet, en ouvrant l’animal les savants peuvent voir les organes malades et les réactions du corps face à un corps étranger. Par exemple, en injectant du poison dans le sujet, on peut l’ouvrir et regarder sa propagation dans l’organisme. Il s’agit ici d’une pratique expérimentale de la physiologie, science étudiant le fonctionnement des organismes vivants.

 

Dans ce domaine, la vivisection tend à devenir hégémonique vers les années 1830. Cette technique passe d’une nouveauté à une méthode automatique (tester sur des animaux avant de soigner les humains). Ce procédé devient dominant grâce aux places institutionnelles obtenues par les vivisecteurs tels que François Magendie qui obtient une chaire au Collège de France, et à la création de la Société de Biologie en 1848. En 1867, Claude Bernard associe l’expérimentation sur l’organisme vivant avec l’anatomie ou les sciences physico-chimiques. L’objectif est de rendre cette méthode accessible à tous. Les mots d’ordre sont : gratuité, performance et répétition. Les expériences sont réalisables facilement par tous et se font par des professionnels cherchant à performer et répéter ces expérimentations. Finalement, les scientifiques sont amenés à réaliser des vivisections publiques, reproduites par les élèves pour leurs études.

 

Mais il existe une ambivalence dans le monde scientifique. En 1823, l’anatomiste Pierre-Nicolas Gerdy écrit une thèse contre la vivisection et la souffrance animale sans nier l’utilité de cette méthode, seulement l’excès. Le premier débat intervient au sein de l’Académie de médecine entre 1837 et 1839 après les expériences particulièrement douloureuses d’injection d’air dans les veines. Mais ces discussions portent alors plutôt sur la contradiction des conclusions obtenues et non sur la souffrance animale elle-même.

 

En 1863, de nouvelles discussions ont lieu à l’Académie de médecine. La revue l’Union médicale indique que la Société protectrice des animaux (SPA) anglaise a demandé à l’empereur d’examiner la question de la vivisection. La charge est confiée à une commission composée notamment de Claude Bernard, pourtant grand vivisecteur. Les membres de la commission défendent en bonne logique l’utilité de la vivisection. En 1845, la Société Protectrice des Animaux (SPA) est créée en France, mais celle-ci est aussi composée de grands vivisecteurs et protége surtout les chevaux à l’origine. Bien que ses actions se soient diversifiées, les vivisecteurs présents en son sein ont empêché toute action de protection massive des animaux, et ne s’intéressent qu’à l’utilité de la pratique.

 

Puis le débat entre dans la sphère publique et l’État intervient. La loi Grammont du 2 juillet 1850 interdit d’user de violence sur les animaux domestiques. Mais un décret vient amenuiser la loi en la limitant à la sphère publique, sans rien de concret pour limiter la souffrance animale. C’est alors à ce moment-là que la société s’empare de la question, et notamment avec Marie Huot. Cette dernière s’oppose à Brown-Séquard, figure de proue de la vivisection depuis la mort de Claude Bernard, en l’agressant durant l'un de ses cours au collège de France, le 23 mai 1883. Cette action a été par la suite retranscrite dans les premières pages de la  Gazette des hôpitaux. 

 

Elle crée ensuite la ligue populaire contre la vivisection en s’appuyant notamment notamment sur Victor Hugo. Cette ligue réalise des actions de sensibilisation auprès du grand public, en rassemblant des preuves médicales afin de provoquer une révision de la loi Grammont. La veille de la Grande guerre est marquée par 3 tendances, un antivivisectionnisme radical (volonté d’abolition), un plus modéré (limiter les usages) et un provivisectionisme fort.

 

La vivisection a perduré au long du XXe siècle, jusqu’à être pratiquée par les Japonais, à partir de 1932, dans l’Unité 731 sur des prisonniers chinois.

 

Prolonger la lecture dans le dico :Auto-expérimentation-Buveurs de sang - Piano à chats-

Solal Scellier-Dekens (Le Mans Université)

Références :

Gisèle Seginger (dir.), Animalhumanité. Expérimentation et fiction : l’animalité au cœur du vivant, Colloque des 01 et 02 décembre 2016 à Maisons-Alfort, LISAA éditeur, Champs-en-Marne, 2018.

Jean-Yves Bory, La douleur des bêtes : la polémique sur la vivisection au XIXe siècle en France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013

 

Pour citer cet article : Solal Scellier-Dekens, « Vivisection », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

Partagez :