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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Accouchement sans douleur

L’accouchement sans douleur : naissance d’un débat médico-politique français dans la seconde moitié du XXe siècle.Couverture du magazine Regards, 1952.L’accouchement sans douleur : naissance d’un débat médico-politique français dans la seconde moitié du XXe siècle.

 

    L’accouchement sans douleur (ASD) est une méthode d’accouchement importée d’URSS en France par le médecin-obstétricien Fernand Lamaze en 1951. Cette pratique permet de se substituer aux médicaments analgésiant tout en promettant la suppression des douleurs d’enfantement. 

 

    Ferdinand Lamaze est à la fois le médecin accoucheur des grandes familles bourgeoises de la capitale et un proche du parti communiste français (PCF). Il dirige, à partir de 1947, la maternité de la polyclinique des Bluets, financée par les syndicats CGT des métallurgistes de la région parisienne. Grâce à ses liens avec le PCF, il est convié à un voyage en URSS en septembre 1951. Durant ces quelques semaines de visite, il assiste à une « naissance sans douleur » auprès du docteur Nicolaiev. Ce médecin est convaincu que la douleur résulte d’un réflexe conditionné, véhiculé par la société, conformément à l’injonction biblique d’enfanter dans la douleur. Ainsi, le docteur Lamaze revient de son voyage persuadé des bienfaits de cette méthode et déterminé à l’intégrer dans sa maternité. Il s’exprime dès son retour sur cette expérience, avec enthousiasme, dans L’humanité et Libération

 À son retour d’URSS, Lamaze introduit la nouvelle méthode en France. Pour se faire il doit convaincre le milieu médical et les femmes françaises. Assisté des médecins, René Angelergues, André Bourrel et Pierre Vellay, tous trois médecins à la clinique des Bluets, il adapte la pratique soviétique et la définit selon trois principes : une éducation physique comportant six séances d’instruction, une instruction pédagogique pour supprimer chez la femme la peur de l’accouchement et de la douleur, enfin une “restructuration” du cerveau visant à écarter les croyances erronées.

   

   Les communistes jouent un rôle décisif dans la diffusion de l’ASD. En 1952, le magazine Regards lui consacre vingt-neuf pages. Le groupe communiste du conseil de Paris demande la mise en place de la méthode dans toutes les maternités parisiennes. Six d’entre elles recevront une aide financière de la Sécurité sociale afin de couvrir les coûts de cette pratique. À partir de 1953, le docteur Lamaze et ses confrères entrent dans la période « conquérante » de la pratique qui se généralise dans un grand nombre de maternités françaises. Le 13 mars 1953, le groupe communiste dépose une proposition de loi visant à créer un « Centre national chargé de promouvoir l’enseignement et de développer la méthode d’accouchement sans douleur ». Ce centre a comme objectif de former le personnel soignant et de promouvoir l’ASD en dehors de la sphère parisienne. Cette proposition de loi est utilisée comme point d’appui dans une propagande politisée. Les médecins utilisent les parturientes - les femmes sur le point d’accoucher - comme militantes de la pratique, en leur demandant de témoigner de leur expérience, et surtout en insistant sur sa réussite. 

 

    Néanmoins, les partisans de l’ASD rencontrent un grand nombre d’adversaires, médecins, politiciens ou catholiques. Par deux fois, le docteur Lamaze et son confrère Pierre Vellay sont convoqués par l’Ordre des médecins. Pour autant, la méthode continue sa progression et convainc au-delà des frontières françaises. Les différentes résistances sont principalement politiques et idéologiques, accentuées par le contexte de la guerre froide. L’environnement communiste dans lequel l’ASD est née dérange et les détracteurs à la méthode souhaitent décrédibiliser le PCF. Ces conflits parasitent totalement le débat scientifique. Le 8 janvier 1956, le pape Pie XII autorise l’accouchement sans douleur, relançant la discussion sur cette méthode. Le 29 février, le PCF dépose une loi visant à faire reconnaître l’ASD en autorisant les remboursements des cours de préparation par la Sécurité sociale. En juin c’est partiellement chose faite puisque la Sécurité sociale autorise le remboursement de six cours de préparation. La méthode sort alors des grands débats politiques de la guerre froide et trouve sa place dans des débats médicaux plus sereins. Fernand Lamaze ne verra que les prémisses de cette évolution, car il décède brutalement le 6 mars 1957. Les circonstances de sa mort vont relancer une dernière fois le débat médico-politique.

   

   Malgré son importance dans les années 1960-1970, l’ASD s’essouffle dans les années 1980, laissant place à la péridurale. Cependant, cette méthode a changé le regard que l’on portait sur l’accouchement, par exemple, en donnant une place aux pères. On peut donc conclure en citant l’ouvrage de Marianne Caron-Leulliez et Jocelyne George : “ L’ASD fut un élément majeur de la révolution culturelle qui, à partir des années 1950, transforma la vision que les femmes avaient d'elle-même comme le regard de la société sur elles.”

 

    Au début du XXIe siècle, on constate une recrudescence de l’accouchement sans douleur, grâce à son caractère « naturel », permettant d’éviter les risques de l’anesthésie, répondant aussi à une volonté d’accoucher en toute conscience. 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Accouchement à l'hôpital- Allaitement

Camille Penn – Université Paris-Saclay

Références :

Marianne Caron-Leulliez et Jocelyne George, L’accouchement sans douleur. Histoire d’une révolution oubliée, Paris, Les éditions de l’atelier/ éditions ouvrière, 2004, 254 pages.

Michel Dreyfus, « La polyclinique des Bluets et les débuts de l’accouchement sans douleur (1938-1957) », dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°53, 1999, pp. 27-33.

Pour citer cet article : Camille Penn, "Accouchement sans douleur" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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