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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Arbre de Buzancy

L’arbre du Marquis de Puységur : un orme mis au service de la guérison du peuple, partagé entre adoration populaire et condamnation des sphères scientifique et médicale.Fac-similé de la gravure du frontispice de l’ouvrage de Puységur « Aux sources de l’hypnose », Les mystères de la science de Louis Figuier, page 336.

   L’arbre du Marquis de Puységur : un orme mis au service de la guérison du peuple, partagé entre adoration populaire et condamnation des sphères scientifiques et médicales.

   Amand Marie Jacques de Chastenet, Marquis de Puységur, était un officier-général de l’artillerie et suivait, comme ses frères, des cours avec Franz-Anton Mesmer, inventeur du magnétisme animal en 1773. La théorie de Mesmer reposait sur la croyance d’un fluide universel qui traversait chaque corps et qu’il fallait remettre en équilibre lorsqu’il y avait une maladie, comme l’hystérie. Afin d'induire la guérison, Mesmer concentrait une partie du fluide avec un dispositif, qui pouvait être un baquet ou un arbre. Ce fluide était ensuite redistribué par Mesmer pour pratiquer le magnétisme animal, c’est-à-dire la transmission du fluide grâce au baquet vers le patient, afin de le plonger en crise et rétablir ainsi l’équilibre dans son corps.

   L’arbre de Buzancy était utilisé comme un baquet par le Marquis de Puységur, à partir de 1784. Ce disciple de Mesmer tentait de soigner la population des campagnes tout en affrontant les nombreuses commissions qui condamnaient le magnétisme animal, jugé comme pratique du charlatanisme.

   Le Marquis soignait et magnétisait les paysans de son village de Buzancy, situé dans le nord-est de la France. Il a notamment connu son apogée vers 1784, lorsqu’il est arrivé à soigner son valet Victor, en le plongeant malgré lui dans un somnambulisme éveillé. Victor parvint à parler, à diagnostiquer lui-même ses problèmes et à s’auto-prescrire un remède pour guérir. Cette guérison fut partagée petit à petit, et se répandit jusqu’à la région entière du Soissonnais, qui sollicita le Marquis dans différents processus de guérison. Mais le magnétiseur, ne pouvant guérir autant de personnes, décida alors de reprendre l’expérience de Mesmer, mentionnée dans l’ouvrage « Les Mystères de la science » : ce dernier avait magnétisé un arbre sur le boulevard du Temple, à Paris, pour soigner les pauvres qui ne pouvaient assister à ses baquets ; le Marquis a donc magnétisé l’orme de son village, qui sera connu plus tard sous le nom d’arbre de Buzancy, afin de guérir le plus de patients possibles. Ce phénomène fut un succès, comme en témoigne une lettre du Marquis à son frère, le 17 mai 1784, quelques jours après la mise en place de l’arbre de Buzancy comme baquet :  « Ils affluent autour de mon arbre : il y en avait ce matin plus de cent trente. ».

   Afin de réussir ces guérisons en masse, le Marquis chargea l’arbre de son énergie pour en faire son alter ego curatif. Il avait placé des bancs en pierre circulaires autour du tronc de l’arbre et une corde avec laquelle les patients enlaçaient les parties souffrantes de leur corps pour capter le plus de fluide possible. Ceux qui arrivaient après la formation du cercle autour du tronc se plaçaient sur des chaises et saisissaient des branches, pour capter le fluide. Une fois installés autour de l’arbre, l’opération commençait avec l’ensemble des malades dans la chaîne, qui se tenaient par les pouces. Le Marquis de Puységur continuait tout de même à guérir certains patients avec ses mains et sa baguette. Ce processus de guérison s’est différencié des baquets de Mesmer par le fait que les patients n’étaient pas plongés en état de crise, mais au contraire, dans un état de calme et de tranquillité qui formait un tableau de bonheur, celui de la nature, mère guérisseuse des maladies, un sentiment partagé par les philosophes des Lumières.

   Le magnétisme animal a pris de l’ampleur dans la société, jusqu’à guérir l’entourage de la cour de Louis XVI, ce qui a appelé les autorités à s’y intéresser de plus près, notamment au travers d’une enquête qui a mêlé une double commission de l’Académie des sciences et de la Société royale de médecine, terminée en 1784. Elle finit par interdire le mesmérisme, car il n’était pas considéré comme relevant du domaine scientifique, mais simplement de l’imagination et de la simulation des patients, comme on a pu le voir dans la vision du médecin Luys, considérant les femmes hystériques « simulatrices nerveuses ». Deux autres condamnations et des jugements du magnétisme animal comme pseudo-science ont eu lieu. On peut citer un pamphlet, écrit par le secrétaire de l'Académie de médecine en 1812, qui a accusé le magnétisme animal d'être « contraire à la raison, aux bonnes mœurs, et de conduire les hommes à l'abrutissement ». Un débat entre défenseurs et opposants du magnétisme animal s’est développé. En 1825, le docteur Pierre Foissac a publié un mémoire, plaidant en faveur d’un réexamen du magnétisme par l’Académie des sciences. Le débat s’est clôturé sur le dernier rapport de la commission en 1837, qui a prôné qu’après avoir assisté à une douzaine d’expériences, aucun résultat n’a été démontré. De ce fait, l’Académie de médecine a décidé de ne plus s’interroger sur le magnétisme animal. Cependant, le Marquis de Puységur n’a connu aucune condamnation et a tenté, coûte que coûte, de continuer ses séances sur le somnambulisme notamment, et a produit des ouvrages, ainsi que des cours, pour diffuser son savoir, même si sa thérapie est accusée, comme le mesmérisme, de charlatanisme.

   La condamnation radicale, à trois reprises, par les instances académiques médicales et scientifiques a occulté les connaissances sur le magnétisme animal et a également entraîné son déclin. Certaines idées ont été redécouvertes en 1880, avec les travaux de Jane et de Freud, mais dans des conditions différentes.

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Charlatan - Baquet de Mesmer - Guérisseurs - Débredinoire 



Camille Delpeux - Le Mans Université

Références :
 
Louis Figuier, Les Mystères de la science, Paris, Librairie Illustrée, Bibliothèque du patrimoine médical, 1880, 716 p. 

Jean-Pierre Peter, « De Mesmer à Puységur. Magnétisme animal et transe somnambulique, à l’origine des thérapies psychiques », in Revue d’Histoire du XIXe siècle, 38, 2009 (disponible en ligne). 


Pour citer cet article : Camille Delpeux, « Arbre de Buzancy », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024. 

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